Jean-Marc Jahn est le directeur général de la SEAAL, une société par actions détenue par l'ADE et l'ONA, opérateur public de droit algérien, en charge de la gestion des services d'eau et d'assainissement du Grand Alger et de Tipasa. Pour lui, l'alpha et l'oméga de la stratégie de la société reposent sur quatre éléments fondamentaux : la mobilisation de la ressource, la maîtrise des transferts, de la distribution et la résorption du gaspillage et des pertes. Dans cette interview, M. Jahn a rappelé les actions de SEAAL en matière de la gestion de l'eau potable. Il a évoqué, également, le travail qui se fait en matière d'entretien et d'assainissement des réseaux. Selon lui, Alger est une parfaite illustration de la pertinence de la politique algérienne en matière d'eau et d'assainissement. M. Jahn, sans détours, dresse un bilan positif de ce partenariat. Afin d'améliorer la qualité et l'efficacité des services publics de l'eau et de l'assainissement, l'Etat avait entrepris, en 2005, une délégation graduelle de la gestion des services publics à des opérateurs internationaux. Quel bilan en faites-vous ? Le bilan du partenariat entre Suez Environnement, l'Algérienne des eaux et l'Office national de l'assainissement dans le cadre de la gestion déléguée de l'eau est plus que positif. En neuf ans de réalisation, nous avons réussi à relever un défi très complexe qui était d'assurer une distribution en continu de l'eau au niveau de la capitale et d'améliorer le service public de l'eau aussi bien en relation à l'assainissement qu'avec la clientèle. Les équipes de la SEAAL ont considérablement progressé sur tous les métiers et pas seulement sur les aspects techniques. Cette amélioration s'explique par deux raisons. Il y a d'abord l'apport immense des pouvoirs publics qui ont mis à la disposition de SEAAL des moyens financiers considérables pour réaliser des améliorations de la qualité de service, mais aussi les moyens humains à travers le partenariat avec Suez Environnement. Ils ont eu pour effet de créer une forte valeur ajoutée en matière d'expertise. Je dois dire qu'aujourd'hui, la collaboration entre les équipes locales et les experts de Suez Environnement est constructive et porteuse de résultats motivants. Nous avons travaillé la main dans la main. Nous avons une relation fusionnelle. Le personnel de SEAAL a parfaitement joué le jeu. Il a accompli ses missions très efficacement et contribué aux bons résultats de SEAAL. Cela dit, on n'est jamais tout à fait satisfaits. Nous voudrions constamment être meilleurs et plus performants. Il y a toujours une volonté pour aller de l'avant et s'améliorer davantage. Car nous pensons qu'il y a encore du travail à faire et des projets à améliorer. Où en êtes-vous en matière de transfert de savoir-faire ? Les pouvoirs publics, à travers la décision d'aller vers une gestion déléguée de l'eau, voulaient atteindre deux objectifs majeurs, l'amélioration de la qualité de service et le transfert du savoir-faire. Ce dernier constitue, aux côtés de la remise à niveau des services à un niveau de standard international, le second objectif majeur de SEAAL. Ces deux composantes fondamentales font la particularité de ce partenariat. C'est un contrat très original qui est, sur le plan mondial, très apprécié et envié par beaucoup de collectivités publiques internationales. Nous avons beaucoup de délégations internationales qui viennent ici pour comprendre comment l'Algérie a réussi, en quelques années, à changer complètement le niveau du service de l'eau. Le transfert de savoir-faire était l'une des attentes très fortes de l'Etat algérien. Nous avons fait progresser les travailleurs sur tous les métiers d'entreprise, y compris dans les achats, la gestion du réseau, la gestion patrimoniale, la gestion des ressources humaines. Toutes les directions de l'entreprise ont largement progressé. Nous avons eu à le mesurer dans un référentiel international. Je note une montée en puissance remarquable du savoir-faire des agents de SEAAL. Cela atteste de la capacité des équipes locales à évoluer très rapidement. Depuis quatre ans, nous nous sommes intéressés au volet managérial. Nous avons développé, en collaboration avec Suez Environnement, des outils d'accompagnement, de l'épanouissement managérial de nos cadres locaux. Pas moins de 350 cadres d'entreprise ont pu progresser considérablement dans cette discipline névralgique. Nous sommes dans un référencier international aussi bien dans les métiers que dans le management. Une charte de management est d'ailleurs partagée par tous les cadres Le gouvernement veut renoncer à la gestion déléguée en optant pour une nouvelle formule d'assistance technique. Qu'en pensez-vous ? Nous pouvons faire beaucoup de choses diverses de situation. Néanmoins, je constate qu'avoir un service public performant n'est pas seulement une question de technique et de savoir-faire technologique. C'est aussi une affaire de management qui est une constance dans beaucoup de services publics à travers le monde. Le management reste au cœur de la dynamique de progrès et de la modernisation de l'entreprise en matière de service public dans le domaine de l'eau. Je suis convaincu que le montage qui a été fait jusque-là chez SEAAL est intelligent. Parce qu'il additionne à la fois une injonction de compétences absolument nécessaires de métier, mais aussi il a considérablement modernisé et dynamiser le management de l'entreprise publique qui, souvent, par rapport à celui d'une entreprise privée, est beaucoup plus statique. Chez SEAAL, nous sommes dans une dynamique managériale qui ressemble beaucoup à celle qu'on peut rencontrer dans beaucoup de grandes entreprises privées à travers le monde. Je reste convaincu que c'est un schéma adéquat pour faire progresser le service public de l'eau. Nous avons fait la démonstration à Alger et nous avons démontré que l'expérience marche parfaitement. L'Etat a mis en œuvre un programme exceptionnel de mobilisation, de diversification et de sécurisation des ressources en eau. Qu'en est-il de la distribution de l'eau dans la capitale ? L'effort est porté sur l'ensemble des composantes. Dans ce contrat, la SEAAL, avec Suez Environnement, avait des objectifs. Les directions de la ressource en eau des wilayas d'Alger et de Tipasa en avaient également. L'addition de ces objectifs a donné un résultat. Concrètement, l'essentiel de l'effort de la mobilisation de la ressource de l'eau à Alger en 2006 et Tipasa en 2015 a été porté par l'Etat. Il a réalisé des stations de dessalement d'eau de mer, de grands barrages. L'apport a été, également, porté par SEAAL à travers la remise à niveau des ressources historiques d'Alger à savoir les forages, la réhabilitation des stations de pompage. Le progrès dans la maîtrise de la distribution a été évidemment considérable. Lorsque nous avons commencé ce projet en 2007, nous avions posé le principe des quatre clés du H 24 qui sont la mobilisation de la ressource, la maîtrise des transferts, la maîtrise de la distribution et la résorption du gaspillage et des pertes. Il y a un énorme travail qui a été fait en matière de distribution pour permettre d'acheminer l'eau dans des meilleures conditions, le comptabiliser normalement et le maintenir en continu. Les déperditions dans les réseaux de distribution d'eau prennent de l'ampleur en Algérie. Comment procédez-vous pour résoudre ce problème et quelle stratégie allez-vous adopter pour améliorer la qualité de la ressource ? La lutte contre les fuites constitue un défi à relever particulièrement complexe pour SEAAL. Nous avons énormément travaillé sur le sujet. Si nous ne l'avions pas fait, on n'aurait jamais atteint le H 24 à Alger. Dès 2006 et début 2007, nous avons déployé un plan d'action qui consiste à faire en sorte que le maximum d'eau mobilisée arrive aux usagers. Nous avons, également, développé une approche portant la modulation de la régulation de pression sur le réseau. Dans une ville comme Alger, très compliquée sur le plan hydraulique à cause de sa topographie tourmentée, la modulation de la régulation de pression sur le réseau consiste à donner à chaque quartier où à chaque zone la pression nécessaire et suffisante. Aujourd'hui, nous avons plus de 10% de la zone d'Alger qui est modulée et régulée et qui fait d'elle une référence internationale dans ce domaine technologique très pointu qui nécessite énormément d'aménagements techniques. Cette approche est un exemple concret de prise en charge de la problématique des pertes sur le réseau qui a permis de résorber une bonne partie des déperditions et d'accompagner la montée en puissance du H24 par une non dégradation des pertes. Nous avons déployé un programme spécial de recherche des fuites. La tâche n'a pas été facile. Le réseau d'Alger est ancien et présente plusieurs caractéristiques défavorables. Face à cette situation, SEAAL, avec l'expertise de Suez Environnement, a déployé un plan de bataille contre les fuites avec deux objectifs clairs : localiser plus vite celles-ci et les réparer plus rapidement. Il existe deux types de fuites : les fuites visibles et celles invisibles. Nous avons d'abord travaillé sur les fuites identifiées. La première campagne de communication que nous avons lancée en 2007 vise à mettre en contribution la population pour nous aider à repérer toutes ces fuites qui coulent encore à Alger. Cette démarche nous a permis de gagner du temps. Pendant quatre ans, nous avons pu rattraper le retard en matière de réparation des fuites visibles. Depuis 5 saisons, nous travaillons beaucoup plus sur des fuites invisibles. Nous avons déployé les meilleures technologies mondiales à l'image de la pré-localisation et la corrélation acoustique. Nous avons développé le comptage des zones, le comptage chez les usagers. Les choses s'améliorent progressivement. Néanmoins, il ne faut pas se leurrer. Les schémas directeurs qui ont analysé la situation et élaboré des projections sur l'avenir ont démontré que si on voulait revenir à un âge moyen de réseau conforme aux standards internationaux, il fallait garantir l'effort soutenu de renouvellement du réseau jusqu'au moins 2030. Quelle est la capacité maximale de production pour le Grand Alger et dans quelle mesure répond-elleaux besoins ? La capacité maximale de production pour le Grand Alger est de 1.600.000 m3/j pour des besoins de l'ordre de 1.150.000 m3 en pointe. Nous avons une marge de sécurité relativement importante grâce aux efforts de l'Etat en matière de diversification et de sécurisation de la ressource. L'amélioration du service public de l'eau constitue un objectif majeur pour la SEAAL. Qu'en est-il des autres champs d'intervention de compétence de l'entreprise, à savoir l'assainissement et la relation clientèle ? Depuis la signature de ce partenariat, l'assainissement, contrairement aux idées reçues, a été positionné avec le même niveau d'ambition qu'avec l'eau potable. Beaucoup de pays dans le monde, lorsqu'ils sont confrontés au problème de l'eau potable, ne se préoccupent pas de l'assainissement. L'Algérie a pris les choses autrement en disant qu'on travaille sur les deux aspects. Le contrat ratifié avec Suez Environnement est extrêmement clair : on intervient aussi bien dans le segment de la gestion du service public de l'eau que dans l'assainissement. Les chantiers de SEAAL sont symétriques dans le volet de l'eau et dans l'assainissement. L'assainissement fait des progrès remarquables, parallèlement à ceux de l'eau potable, même si les citoyens en sont peu conscients aujourd'hui. Le réseau de l'assainissement en 2006 n'était pas connu. Il n'y avait aucun plan de réseau à Alger. Nous avons reconstitué intégralement les plans des 4.000 km de réseau à Alger. Ensuite, nous avons mis en place toute notre stratégie d'entretien et de maintenance de ce réseau et de son renouvellement pour que les écoulements fonctionnent. Il s'agissait de mettre en place un réseau capable d'acheminer les égouts à mesure que l'Etat réalise des stations d'épuration, ou des travaux d'extension de celles-ci. On voit très bien les résultats. En 2006, il y avait énormément de quartiers à Alger où « se sentaient les égouts ». Aujourd'hui, c'est très rare. Un deuxième indicateur plus important : les plages ouvertes à la baignade. En 2006, on en comptait 39 aujourd'hui, on en recense 73. Ces plages ont été gagnées grâce au travail de la direction de la ressource en eau de la wilaya et la SEAAL. Par ailleurs, l'évolution du service aux citoyens en termes de relation clientèle entre 2006 et 2015 est colossale. Notre système informatique clientèle permet à tout usager de régler, dans n'importe quelle agence SEAAL, ses problèmes de facturation et de renseignement. Avant, il ne pouvait le faire qu'au niveau de l'agence la plus proche de son domicile. Par ailleurs, le centre d'appels téléphoniques SEAAL, qui répond déjà aux normes internationales, reçoit pas moins de 450.000 appels par an. Le client est accueilli, écouté et ses demandes sont prises en compte, très majoritairement, dans un délai satisfaisant. C'est clair, l'expérience SEAAL est une totale réussite. Peut-elle être généralisée à d'autres wilayas ? Je suis convaincu que le modèle de SEAAL est réductible. J'ai une démarche pragmatique et non commerciale. Nous avons des équipes capables de faire plus et d'aller plus loin. Elles peuvent prendre en charge la gouvernance de l'eau dans les autres régions. Cela dit, la décision relative à l'augmentation du périmètre de SEAAL ne relève que des autorités algériennes. Ma conviction est que SEAAL est prête à relever le défi. Qu'en est-il du contrat qui arrive à son terme le 31 août 2016 ? Sera-t-il renouvelé ? Là encore, je ne sais pas. Je ne peux pas répondre. Je suis convaincu que ce modèle de partenariat est exemplaire et fera date dans l'histoire de l'eau au niveau international. Quel bilan faites-vous de la saison estivale ? Nous avons réussi une bonne saison estivale, particulièrement sur les mois de juin et juillet. Pratiquement, il n'y a pas eu de perturbation. Par contre, durant le mois d'août, nous avons eu quelques perturbations. Elles sont principalement liées à une température et une humidité extrêmement élevées. L'une et l'autre avaient provoqué un dysfonctionnement électrique. En 2001, l'Algérie était sur le point d'« importer de l'eau », en raison de la sécheresse qui avait frappé le pays. Aujourd'hui, les efforts entrepris par l'Etat pour faire reculer le spectre du stress hydrique se sont traduits par la réalisation de grands projets structurants. Quel regard portez-vous sur la stratégie algérienne dans le domaine des ressources en eau ? Je n'ai jamais vu un pays qui a mobilisé autant de moyens pour l'amélioration du service public de l'eau et de l'assainissement. Alger est une parfaite illustration de la pertinence de la politique algérienne en matière d'eau et d'assainissement. Dans quelques années, l'Algérie figurera parmi les pays sécurisés en eau potable. Elle l'est déjà aujourd'hui. La politique de réalisation de barrages est exceptionnelle. Avec la réunion de l'eau conventionnelle et non conventionnelle et la stratégie d'exploitation intelligente des ressources historiques, l'Algérie peut être fière de ce qu'elle a fait en matière d'eau. En contrepartie, je pense que le citoyen doit avoir conscience de cet effort. Aujourd'hui, les citoyens jouissent, à Alger, d'un niveau de confort dont ils ne pouvaient pas rêver il y a dix ans. Le temps est venu pour que les citoyens se rendent compte que dans le pays des efforts en matière d'eau et d'assainissement ont été faits .Chacun peut faire un effort de son côté.