Le coup de poing rageur de Poutine sur la table, rappelant, toute proportion gardée, la fameuse grogne de Nikita Khrouchtchev frappant sur son pupitre avec sa chaussure, amorce le retour en force de la Russie dans l'échiquier mondial perverti par le règne sans partage d'un Occident. Et, c'est précisément dans l'arène syrienne que le chamboulement annoncé oppose deux visions contradictoires représentées par la Russie, acquise au dialogue sans exclusif et au libre choix des peuples de leur avenir, et les Etats-Unis faisant feu de tout bois l'instrumentalisation de l'islamisme aux couleurs d'El Qaida de la lutte contre le « péril rouge » et aujourd'hui de sa pâle copie de Daech . Tous les paradoxes de l'Occident, donneur de leçons en matière de démocratie et des droits de l'homme, résident dans le combat contre le « terrorisme international » à géométrie variable, érigé en credo dans les campagnes d'invasion afghane et irakienne et soigneusement couvé à l'aune de « l'opposition modérée » mobilisée en Syrie. Le cas patent du Front al-Nosra, inscrit dans la liste noire des organisations terroristes par l'ONU et les Etats-Unis, est révélateur du jeu d'ombre et des suspicions qui entourent le programme de formation américain. Selon le commandement des forces américaines au Moyen-Orient (CentCom), certains rebelles syriens formés par les Etats-Unis ont remis une partie de leur équipement et de leurs munitions au Front al-Nosra. Plus généralement, le soutien militaire et financier apporté à la nébuleuse islamiste trace la ligne rouge d'un combat univoque qui sacrifie Daech en fin de mission une alternative au service des intérêts stratégiques de l'Occident. Le combat est d'autant plus équivoque que les divergences sur le mode opératoire ont éclaté entre les Etats-Unis et la France ralliée à l'option des frappes aériennes en Syrie qu'elle a longuement contestée. Seule l'arme fatale de la dite « opposition modérée » semble sceller l'union sacrée des partenaires occidentaux, particulièrement ébranlés par l'entrée en force de la Russie en Syrie et de la détermination de Poutine à en finir avec la menace de Daech et avec « tous les groupes terroristes » ciblés par 60 frappes en trois jours dirigées contre 50 sites d'infrastructures. Selon un haut responsable de l'état-major russe, le général Andreï Kartapolov, ces opérations ont semé la panique dans les rangs de Deach en débandade dont « environ 600 » ont abandonné leur position. « Sur les dernières 24 heures, des avions SU-34, SU-24M et SU-25 ont effectué 20 sorties », a précisé le ministère de la Défense. « Dix cibles d'infrastructure des bandits de Daech ont été frappées », a-t-il ajouté, soulignant que les forces russes étaient en train d'étendre leur campagne de bombardements. La campagne d'éradication du terrorisme sous toutes ses formes, inscrite dans une période allant de 4 à 5 mois, a mis dans tous ses états un Occident qui se dit soucieux de la vie des civils, superbement ignorés dans la « guerre contre les civils » à Ghaza et les bavures à répétition en Afghanistan. La Russie « ne doit pas se tromper de cibles », a lancé le Premier ministre français, Manuel Valls, bannissant les frappes contre d'autres organisations que Daech. De son côté, le président américain a regretté que les Russes ne faisaient « pas la différence » entre les groupes visés. « De leur point de vue, ce sont tous des terroristes. C'est une catastrophe assurée », a-t-il affirmé. Mais cette ambivalence a été balayée d'un revers de la main par Moscou déplorant l'absence de clarification dans la définition de l'« opposition modérée ». Au cours de sa rencontre, vendredi dernier, avec les dirigeants français et allemand à Paris, Poutine a « fait part de son grand intérêt pour cette question et demandé quelle était la différence entre l'opposition modérée et celle qui ne l'est pas. Jusqu'à présent, personne n'a réellement réussi à expliquer ce qu'était l'opposition modérée », a déclaré le porte-parole, Dimitri Peskov, à la télévision russe. Daech, l'ex-allié encombrant, est devenu incontestablement une organisation terroriste.