La ville a un charme secret quand le gros des vacanciers a plié bagage. Les estivants sont partis depuis longtemps et la grande avenue qui longe la plage Kotama a retrouvé sa quiétude et cette sorte de léthargie que novembre caresse d'un soleil qui s'obstine à darder de ses rayons cet insolite été indien. La célèbre émission « Thalassa » a à peine survolé les paysages et c'est comme si Jijel s'était gardée de s'ouvrir, gardant jalousement ses sites fabuleux à l'abri des caméras. Même l'autre émission « L'Algérie vue du ciel » n'a pas su percer le secret de ce site hors-normes, se contentant de faire dans la carte postale en parcourant sommairement quelques endroits prétendument représentatifs... Et c'est tant mieux, car Jijel, ce n'est ni une affaire d'émission ni de reportage, mais pour la découvrir, il faut poser ses bagages et visiter minutieusement le moindre des ses recoins. Il faut du temps. Et ici le temps prend une autre dimension comme s'il avait figé son cours sur les rocs impassibles aux vagues qui les assaillent. D'ailleurs si vous demandez votre chemin au passant, il prend tout son temps et vous fait même un brin de causette. Cela fait presque une quarantaine d'années que je n'étais venu à Jijel et j'en ai oublié tous les repères. Sorti du périmètre de l'hôtel Kotama, je m'égare. A cette époque bien lointaine, j'étais jeune reporter sportif et je fus chargé de couvrir un tournoi de football regroupant tous les espoirs de l'Est algérien. Le journal où je travaillais a disparu. Et le tournoi aussi. Je me souviens à peine d'une avenue bordant la mer et alignant des maisons coquettes et noyées de massifs fleuris. A l'étage de l'une d'elle, il y avait un restaurant qui servait une excellente soupe de poissons et un magnifique poulet farci. Les Jijeliens sont réputés pour leur cuisine et si vous mangez une excellente chorba ou un bon ragoût dans un restaurant d'Alger ou de Constantine, c'est un Jijelien qui est derrière les fourneaux. Mais ce n'est pas l'heure du repas mais celle de la balade dans cet environnement ensorcelant. Les plages sont désertes et quand elles deviennent ces immenses espaces délaissées par les estivants, elles retrouvent leur âme. Ziama, Rocher-Noir, Aokas, Le Phare... Autant de lieux-dits pour le dépaysement total et l'on se prend à rêver d'être quelque romancier venu chercher son inspiration dans cette immense solitude. On se sent alors l'âme d'un créateur, juste pour transcrire ce silence sépulcral à peine troublé par le bruit des vagues aux relents d'éternité. Ecrire un grand livre pour dire cette ville et ses habitants si simples et si accueillants. Ou savoir manier le pinceau pour les plus beaux tableaux, les plus belles aquarelles... Mais ni le temps ni le talent, nous nous contentons de transcrire ici, dans ces modestes lignes cette merveille de la nature. Alors on reste là sur ce roc, abasourdi, cherchant les mots qui conviennent le plus pour décrire ces plages immenses, ces falaises qui descendent abruptes, ces mouettes qui tournoient dans une immense complainte comme pour se lamenter de la morte saison qui vient à grands pas. D'ailleurs de lourds nuages s'amoncellent pour annoncer une nuit fraîche. Nous rebroussons chemin et longeons cette corniche qu'on dit la plus belle du monde, en priant Dieu qu'elle reste en l'état parce que telle que conçue aujourd'hui, l'urbanisation va complètement défigurer le paysage et on imagine de hideux cubes en béton faire office de « villas au bord de mer » ainsi que des bâtisses grises et impersonnelles en guise d'hôtels. Hormis quelques maisonnettes et quelques centres de vacances qui ont levé le camp ainsi que des relais faisant office de gargotes, la corniche est presque dans le même état que l'ont trouvée tous les conquérants qui se sont succédé depuis la nuit des temps, les Phéniciens, les Vandales, les Romains, les Français et en définitive ne sont restés que ses enfants, les Berbères Kotamas, comme dans l'oued ne restent que les pierres... Nous faisons un détour pour rentrer, en passant par ces bourgades aujourd'hui apaisées après des années ensanglantées par un grand malentendu...Kaous a retrouvé son miel d'eucalyptus, Texenna son eau de source... et les Jijeliens cette quiétude qui leur est si coutumière. La nuit tombe et la ville est plongée dans une sorte de léthargie que troublent quelques voitures qui passent en trombe et des groupes de jeunes qui s'apprêtent à veiller sur le rivage en attente d'on ne sait quelle sirène... On nous a murmuré une adresse précieuse, celle de Ammi Hocine qui, paraît-il cuisine un fabuleux couscous d'orge au poisson. C'est la spécialité de la région. Et ce n'est pas la seule.