Les attentas terroristes qui ont ciblé Paris font aussi des victimes collatérales : la communauté musulmane. Les Algériens vivant en France subissent depuis ce vendredi funeste des propos racistes, remarques désobligeantes et autres injures. Résultat : ils se font plus discrets, en attendant que la tempête passe. Bémol, tous ne vivent pas un tel cauchemar. Certains affirment ne pas être inquiétés trouvant que certains Français ne font pas dans l'amalgame. Lundi. 10h30. Aéroport international d'Alger. Le dispositif sécuritaire mis en place à l'entrée a été visiblement renforcé. Des policiers en tenue et des équipes pédestres sillonnent tous les halls de l'aéroport. La fouille des bagages à l'entrée est plus rigoureuse lors du passage au scanner. La vigilance est de mise, a souligné un officier de la police judiciaire rencontré sur place. « Nous ne travaillons pas occasionnellement ou en réaction à des attentats à l'étranger. Le dispositif existe et est adapté à la situation. Il s'agit essentiellement de mesures préventives », précise-t-il, rappelant que la Police de frontières des aéroports et ports reste toujours très vigilante. « Je t'aime, moi non plus » En cette journée, plusieurs vols sont attendus en provenance des capitales et villes européennes, avec en tête la France. Rien que pour la matinée, quatre vols sont affichés en provenance de Marseille, Nice et Paris. Le vol d'Air Algérie AH 1023 a atterri à 11h45, et celui de Nice à 12h30. Sid-Ali, un Algérien résidant à Marseille depuis quatre années, reconnaît qu'un climat particulièrement tendu règne en France, suite aux attentats du 13 novembre. « Les attentats ont eu lieu à Paris, mais à Marseille on n'est pas à l'abri des regards méprisants et des gestes hostiles de certains Français. Certes, il y a une très forte communauté algérienne à Marseille, mais beaucoup d'entre nous évitent aujourd'hui les déplacements ou les sorties en dehors de la ville. On se fait tout petit parce qu'on est chez eux et c'est différent. Les Français ne nous ont jamais trop estimé, c'est comme je t'aime, moi non plus », dit-il. De même pour ce sportif originaire de Boumerdès qui s'est déplacé la semaine passée à Marseille pour participer à un marathon international. « Dans la rue, j'ai été soumis à une fouille corporelle par un policier accompagné d'un chien. Mais ce qui m'a le plus choqué, c'est le comportement d'un serveur dans une cafétéria qui a refusé de me servir. J'ai beau répété ma demande, il m'a ignoré. Quand j'ai protesté, il m'a lancé qu'ici, c'est la France, pas la terre de Dieu, en me lançant retournez dans votre pays », raconte-t-il. Deux jeunes sont chaleureusement accueillis par leurs proches, juste à l'entrée du hall des arrivées. Ils reviennent de loin. « Nous étions en France lors des attentats pour une formation et nous n'avons pas pu contacter nos familles par peur qu'on interprète mal nos communications. On ne s'est pas connecté à Facebook, et tout contact par internet pour éviter les problèmes », indique l'un d'eux. Et son ami d'ajouter : « On n'a pas été inquiété mais on n'était pas à l'aise non plus. Les éléments des services de sécurité français étaient partout et dans tous les quartiers. La prudence était de mise, surtout qu'on a entendu parler d'agressions physiques dans certains endroits. Et quand on entrait dans des restaurants, des supérettes ou chez des buralistes, on ne répondait jamais à notre bonjour. » Des Français « satisfaits » de la réaction rapide des musulmans Deux hommes d'affaires français en déplacement professionnel en Algérie modèrent ces propos. Pour eux, la réaction rapide des musulmans suite aux attentats de Paris a diminué la tension, ce qui explique aussi la baisse, selon eux, des actes islamophobes par rapport à l'attentat de Charlie Hebdo. « Des musulmans ont manifesté pour dénoncer les actes terroristes. Cette fois, ils ont mieux communiqué et je trouve que cette bonne et rapide communication a été très efficace pour la communauté musulmane, comme pour les Français », a déclaré un chef d'entreprise qui a créé récemment une société avec des partenaires algériens. « J'ai fait plusieurs déplacements ces derniers mois en Algérie et je n'ai plus de contraintes. La situation sécuritaire s'est beaucoup améliorée. On compte faire une virée à Biskra, qu'on a déjà visitée. C'est une très belle ville », sourit-il. Moins optimiste, Samira, une jeune maman portant le hidjab, qui vit entre Alger et Paris où elle réside, avoue ne sortir dans la ville des Lumières que très rarement. Et pour cause, « mes voisines ont été agressées verbalement par des individus dans la rue, en présence de policiers qui ne sont pas intervenus », affirme-t-elle. Et d'ajouter : « Les Arabes en général restent chez eux, ils ne sortent plus comme avant, d'ailleurs la ville de Paris est vide le soir. ». Samira, originaire de Dar El Beïda à l'est d'Alger, a décidé de confier sa fille aînée Besma , âgée de 5 ans, à sa famille . « Elle sera scolarisée en Algérie. Je ne cesse de tenter de convaincre mon mari de rentrer définitivement en Algérie », confie-t-elle. Un chauffeur de taxi boudé Yamina, une vieille dame, qui vit à Lilles depuis plus de 30 ans, n'a pas pu retenir ses larmes. « Vous savez, mon fils est chauffeur de taxi. Il était sur les lieux le jour des attentats. Il a évacué certains blessés, parmi eux des policiers. Le lendemain, des Français ont refusé qu'il les transporte parce que c'est un arabe, donc, selon eux, un potentiel terroriste. Nous, les Algériens, avions vécu pire durant la décennie du terrorisme. Maintenant, je veux rentrer à Hadjout, ma ville natale, mais mes enfants nés là-bas refusent de quitter la France », déplore-t-elle. A Orly, Nassima raconte que les immeubles, les mosquées et les magasins des Arables ont été pris pour cible par des individus après les attentats. « Il y a des tags haineux sur les murs. On subit une pression incroyable. Pour eux, nous sommes des terroristes. Ma fille a été agressée par ses camarades à l'école, la traitant de sale Arabe », affirme-t-elle, tout en reconnaissant qu'il ya des Français « compréhensifs ». Les Algériens bien placés pour savoir ce qu'est la peur et la psychose Meghani, un cadre dans une société algéro-allemande, a souligne qu'on doit être seulement prudent et vigilant. « Il ne faut pas tomber dans la psychose et rester prisonnier de la situation. En tant qu'Algériens, nous sommes bien placés pour savoir ce que c'est d'avoir peur mais nous devrons réagir et continuer à vivre, à voyager et à travailler. Pour moi, c'est un moyen pacifique pour dire non à tout acte terroriste mais il ne faut pas également céder à l'islamophobie », estime-t-il. Sid-Ali Madaoui, un jeune originaire de Boumerdès, réside aujourd'hui en Autriche d'une façon légale, après des années de clandestinité en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie. « Je viens en Algérie pour la première fois depuis quatre ans. Je travaille comme peintre. La main-d'œuvre est très demandée en Europe et il suffit d'être sérieux pour vivre en paix là-bas. Je n'ai pas eu de problèmes parce que je sais me comporter. Les musulmans sont toujours la première cible après des attentats terroristes mais aussi les vols, cambriolages et les meurtres parce qu'on reste à jamais des étrangers. Je pense que si les préjugés changent, on vivra en paix parce qu'il y a aussi des Français et des Européens terroristes », souligne-t-il.