La France, terre de xénophobie ? Elle bascule dangereusement, au vu des discours islamophobes et racistes qui se sont multipliés ces dernières semaines dans ce pays. Et les 18% de voix récoltées par le Front national au premier tour de l'élection présidentielle, ne sauraient démentir cette tendance qui effraie la France et l'Europe. Toulouse (France) De notre envoyée spéciale Nicolas Sarkozy n'a pas rechigné à poursuivre son opération de «drague» de ces 6,4 millions d'électeurs en surfant sur les mêmes idées xénophobes, racistes et islamophobes que le FN. Ce qui n'est pas nouveau pour le président sortant tant son mandat a été pavé de politiques et de déclarations stigmatisant les «étrangers». A tel point qu'il a été instauré, en cinq années, un réel climat de «choc des civilisations», dénoncé mardi par Amnesty International dans un rapport sur «Les discriminations envers les musulmans en Europe et l'exploitation politique des préjugés». D'ailleurs, au lendemain des tueries de Toulouse et de Montauban, Nicolas Sarkozy, a comparé «un peu» ces drames au 11 Septembre. El Watan a pris, à Toulouse, le pouls de cet impact. Minime. Non pas que les actes présumés perpétrés par Mohamed Merah n'aient pas écorné davantage l'image d'une population estimée à près de 6 millions sur l'ensemble du territoire. Mais cela n'a été «qu'une pierre de plus» à l'édifice de l'islamophobie dont se disent victimes les musulmans de France.Plus d'un mois après les fusillades où ont trouvé la mort sept personnes, dont, besoin est-il de le rappeler, trois enfants, la vie a repris ses droits à Toulouse. En ce début de printemps pluvieux, les rues de la ville du Sud-Ouest connaissent cette affluence cosmopolite habituelle aux hauts lieux touristiques. Certes l'émotion, le choc, l'horreur de ce 19 mars se sont quelque peu estompés, seule la psychose semble être restée. «Les gens ont peur. Et même s'ils s'en défendent, une fois la panique passée, une certaine méfiance, peut-être même inconsciente, s'est installée, comme la lie au fond de la bouteille», confie un quinquagénaire «français de souche». Les premiers à cristalliser cette crainte sont, l'on s'en doute, les quelque 50 000 musulmans vivant dans l'agglomération. «Les regards ont changé. Ils sont plus sévères, voire haineux parfois», déplore Hafida, une Algérienne voilée, installée à Toulouse depuis plusieurs années. Ces actes ne semblent pas s'arrêter à une simple hostilité visuelle. Insultes, remarques déplacées, accusations à peine voilées et même agressions physiques, témoignent certains musulmans. Et les femmes sont les premières cibles de ces actes. «Une femme en hidjab s'est fait prendre à partie par une autre passagère qui ensuite l'a frappée avec son sac», poursuit Hafida. «Cette présence policière, ces contrôles d'identité, ces vérifications et ces fouilles incessants sont vraiment lourds. Une ou deux fois, ça peut passer, mais rien qu'aujourd'hui, j'ai été contrôlée à quatre reprises», relate Mahmoud, un Oranais d'une trentaine d'années, à la sortie de la mosquée du Mirail, l'une des cités «arabes» de Toulouse. A Arnaud-Bernard, quartier du centre-ville de Toulouse connu pour sa forte présence maghrébine, l'on préfère se «faire discret». Tahar, qui sert thé sur thé aux clients de son café situé sur la placette de ce quartier, lance : «Tu bouges, tu es mort», non sans jeter un coup d'œil aux deux voitures de police garées non loin. «Ils ont l'habitude d'être là. Mais depuis ce qui s'est passé, ils sont vraiment agressifs. Par exemple, il y a quelques jours, tard le soir, un jeune Beur passait par là. Des regards puis des mots ont été échangés, et là, ils s'y sont mis à trois pour le tabasser. Ensuite, ils l'ont laissé repartir», accuse-t-il. «Pourtant, officiellement, aucun acte d'islamophobie, d'agression raciste ou de vandalisme, genre tags, n'a été enregistré. Avant les tueries, il y a bien eu trois ou quatre affaires de mosquées saccagées, mais depuis, rien n'a été déclaré aux autorités», affirme Jean Cohadon, journaliste au service faits divers et justice de la Dépêche du Midi, un quotidien régional. Ce dernier est en charge d'enquêter sur «l'affaire Merah». «Forcément, une partie de la population mélange tout. La communauté musulmane a très mal vécu ces événements et tous les amalgames qui en ont découlé», déplore-t-il. «Nous payons pour ce que d'autres font», s'attriste El Hadi, jeune étudiant «rebeu». Ce que confirme M. Cohadon. «A Toulouse, il y a quatre cités "difficiles" où les populations d'immigrés sont importantes, surtout issues du Maghreb. Pourtant, il n'y a que quelques familles qui posent problème. Les autres pâtissent de cette stigmatisation», explique-t-il. «Ce qui ne date pas des attentats. Les Français d'origine étrangère, à plus forte raison arabo-musulmane, ont de tout temps subi discrimination sur discrimination», juge Ahmed, la quarantaine, d'origine algérienne. Amalgame, adaptation, confusion… Entre racisme devenu «ordinaire» et hostilités envers tout ce qui représente un islam devenu «trop visible», des millions de Français issus de l'immigration n'en peuvent plus des amalgames en cours dans la société, les médias et l'opinion publique. «C'est simple, ils mélangent tout. La situation et les notions sont déjà complexes, mais l'ignorance, les confusions, inconscientes ou entretenues à dessein, ne sont pas pour améliorer les compréhensions. Arabes, Maghrébins, immigrés, reubeus, musulmans, terroristes…, ils ne font aucune distinction !», avance Fouad, trentenaire, Français d'origine algérienne. «C'est comme cette notion de "musulman d'apparence". Qu'est-ce ? Une personne typée. Un "kahlouche" (brun de peau), barbu. Pourtant, je connais énormément de musulmans, et pas des plus modérés, qui sont typés européen ou le sont carrément. Et inversement, des Maghrébins qui ne sont pas musulmans. Alors les apparences…», s'énerve Ahmed. Derrière l'étal de sa boucherie halal, Samir est ce qu'on pourrait justement appeler un «musulman d'apparence». Pour lui, c'est aux membres de la communauté de donner «une bonne image de l'islam». «Il faut arrêter de faire dans la victimisation. Oui, il y a de la peur, mais je les comprends. Ces quelques illuminés salissent des millions de musulmans qui ne demandent qu'à vivre en paix. Et même ceux-là doivent faire des efforts afin de s'adapter aux règles de vie du pays dans lequel ils vivent», assène-t-il. D'ailleurs, certains distinguent une réelle différence de «comportement» entre les musulmans français et les étrangers établis récemment en France. «Les gens qui se sont établis en France par choix ou par nécessité sont beaucoup moins radicaux que les autres. Ils sont plus dans les concessions, plus discrets, ont plus de crainte d'être dans la défiance. Les autres sont citoyens français à part entière. Ils sont chez eux et surtout les plus influençables et perdus sont dans la bravade», analyse Mourad. Français ? Pourtant, l'on a de cesse de répéter l'origine - algérienne dans le cas de Mohamed Merah - de ces jeunes issus del'immigration. «C'est l'un des problèmes majeurs rencontrés par cette deuxièe génération. Ni vraiment Français ni vraiment Algérien. Les filles s'en sortent mieux, par l'éducation, par le travail. Pour les garçons, c'est plus mitigé. L'une des particularités, à Toulouse, de la délinquance perpétrée par les jeunes issus de l'immigration, c'est qu'elle est le fait de la tranche d'âge de 14 à 20 ans. Au-delà, il y a une intégration par le mariage, les enfants, le travail», affirme le journaliste Jean Cohadon, qui ajoute : «La vraie question est de savoir si Mohamed Merah se considérait comme Français ou Algérien.» Agressions islamophobes en hausse de 33,6% en 2011 Intégration : le mot fait grincer des dents Ahmed. «Comment voulez-vous qu'on se sente intégrés, lorsque, depuis votre naissance, on vous répète que vous êtes Français mais qu'on nous fait sentir le contraire à longueur de journée ?», assène-t-il. Et les actes d'islamophobie et de racisme ordinaires sont légion. D'ailleurs, selon le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), les atteintes aux personnes en raison de leur confession musulmane ont augmenté de 37% durant l'année 2011. Ce type d'agressions islamophobes avait d'ores et déjà connu, en 2010, une hausse de 26%, selon le rapport de la même année du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Cela va «des remarques anodines pleines de préjugés au racisme non flagrant, sous-jacent», aux discrimination à l'embauche, au logement ou autres pour cause de patronymes à consonance arabo-musulmane, permis de travail refusé par la préfecture pour cause de hidjab ou encore délits de faciès... D'ailleurs, 15 hommes âgés de 16 à 47 ans, qui se disent victimes de «contrôles d'identité discriminatoires» ont déposé, mercredi, un recours contre l'Etat pour «discrimination institutionnelle». «Pourtant, je peux vous assurer que les plus extrémistes sont les Européens fraîchement convertis. Je les rencontre souvent et je discute avec eux. Ils sont très radicaux», s'inquiète Ahmed, laïc mais «tolérant», qui ajoute que «l'habit ne fait pas… l'imam». «Un jeune comme un autre…» D'ailleurs, peut-être bien que le choc et la psychose qui s'en est suivie ne sont pas exclusivement le fait de ces attaques ou d'une - improbable - soudaine découverte du danger que fait peser le terrorisme islamiste sur l'Hexagone. C'est aussi et surtout le profil même du présumé auteur de ces attentats qui sème le trouble et la panique. Le portrait robot du Ben Laden hirsute s'est mué en un jeune homme comme il y en a des millions dans les villes françaises. Un «reubeu» glabre, plutôt beau gosse. Il sort, fait la fête, boit de l'alcool, a des copines. L'antinomie du djihadiste islamiste. «Je jouais au football avec Merah, et je peux vous affirmer qu'il était loin d'être un extrémiste. Bien au contraire», affirme un jeune homme qui a grandi dans le même quartier. «Il n'était effectivement pas connu pour passer son temps à la mosquée», relate J. Cohadon. «L'on ne connaît évidemment pas son rapport avec l'islam. Il avait tenté plusieurs fois d'être enrôlé dans les corps de l'armée et la légion étrangère. Les experts psychologues et autres personnes qui ont pu lui parler estiment que s'il avait réussi, et qu'il eut été déployé en Afghanistan par exemple, il aurait combattu les talibans sans aucun problème ou remords», affirme le journaliste spécialisé. «Mi-figue mi-raisin», comment en arrive-t-on à ces extrêmes ? Personne ne connaît vraiment la réponse. Et c'est là que le bât blesse. «Embrigadement, autoradicalisation, dépit, sociopathe, traumatisme, frustrations… Si l'on passe à côté de ce questionnement, on ne pourra jamais comprendre cette frange de la société et faire en sorte qu'il n'y ait plus de Mohamed Merah», alerte M. Cohadon. C'est ainsi l'échec de «l'intégration» prônée dans les discours officiels français depuis des décennies mais qui, concrètement, n'a aucune prise sur la réalité.