Le juge a ainsi expliqué sa démarche par le fait que Mohamed Meziane est concerné par les trois affaires traitées par le tribunal (marché de l'équipement de télésurveillance, le GK3 ainsi que celui portant réfection du siège de Ghermoul, à Alger). La seconde raison avancée par le juge est de « permettre à l'accusé d'entendre toutes les déclarations de ses co-accusés ».Mohamed Meziane a d'abord déclaré au tribunal que l'affaire de Sonatrach est « une de ces épreuves que Dieu nous impose dans la vie et que l'on se doit en bon croyant d'affronter ». Et de rappeler, à la demande du juge, son parcours au sein du groupe Sonatrach, les diverses responsabilités qu'il a assumées. Il déroule au tribunal un long un parcours de 43 années au service du secteur (Sonatrach et le ministère) dont « trente années en tant que cadre supérieur ». « Je suis quelqu'un de discipliné, je n'ai jamais reçu d'avertissement ou de blâme durant toute ma carrière, et j'ai géré la Sonatrach dans la transparence et avec traçabilité », a-t-il souligné. Pour lui, « Sonatrach n'est pas n'importe quelle société, c'est un groupe de 80 filiales, de 120.000 travailleurs avec des participations dans 15 pays » dans les domaines de la prospection, du stockage et de la commercialisation de gaz, au Pérou, en Espagne, en Hollande, en Angleterre. « Cela ne pouvait se faire si Sonatrach n'avait pas une gestion transparente et une crédibilité », précise Meziane au juge. Il ajoute qu'on avait même le projet d'investir en Russie pour pouvoir se placer sur les marchés européen et asiatique. « La concurrence est rude », témoigne t-il, et « il n'y a là ni frère ni ami ». Le juge l'invite, néanmoins, à relater plutôt « les faits » car le tribunal « ne va pas vous juger sur la stratégie de Sonatrach », a-t-il lancé à son adresse. Mais Meziane ne peut ne pas évoquer devant le tribunal toutes les contraintes propres à ce secteur où l'on doit « travailler 24 heures sur 24 », « prendre des décisions rapides sous le sceau de l'urgence », citant aussi « les menaces qui pesaient sur nos installations ». Dans ce secteur, poursuit l'ancien PDG de Sonatrach, « les risques étaient réels ». Il citera divers incidents qui ont eu lieu à l'unité de liquéfaction de Skikda, la fuite de gaz à Arzew, les attaques terroristes contre certaines bases de Sonatrach au Sud. Autant de catastrophes qui exigent, selon lui, une gestion dans l'urgence. « Toute l'économie du pays dépend de la production de Sonatrach, je n'avais pas le droit de jouer avec », dit-il L'accusé a préféré encore plaider les spécificités de Sonatrach, l'urgence de protéger tous les sites de production, la mise aux standards des 13.000 km de canalisations dont certaines sabotées par les terroristes. Mais le juge lui demande, encore une fois, d'entrer dans le vif du sujet à commencer par le marché de télésurveillance et comment est venue l'idée de cette urgence, d'autant que la période de terrorisme était derrière nous, quel rôle ont joué ses enfants dans l'attribution du contrat à la société algéro-allemande Contel-Funwerk, dans laquelle son fils était actionnaire. Et puis le juge lui fait remarquer que l'urgence dont il se prévaut est dans les projets et non dans la conclusion des contrats. « Qu'est-ce qui a pu vous inciter à aller au gré à gré, alors que l'appel d'offres est la règle ? », l'interroge-t-il. Pour le juge, le dossier de la télésurveillance a commencé en 2004-2005 avec les démonstrations techniques de la société allemande, puis l'instruction du ministre de l'Energie pour se terminer en 2008, « où est alors l'urgence ? », lance-t-il. Pour Mohamed Meziane, on avait bien commencé par la base du 24-Février et Hassi Rmel qui représentent « 40% de la production en hydrocarbures et gaz de l'Algérie ». Le ministre « nous avait donné un mois, c'était urgent », ajoute-t-il. « Quand on peut gagner un dinar ou un dollar, on y va » L'ex-PDG de Sonatrach a néanmoins reconnu que son fils Mohamed Réda lui a parlé de la société Contel et que son responsable voulait présenter des équipements « sans dire de quoi il s'agissait au juste ». « Je lui ai dit de contacter la direction par écrit pour dire ce qu'il voulait. » Meziane se défend ainsi d'avoir donné un coup de pouce au patron de la société allemande, Mohamed Réda Djaffar Al Ismail, et à son autre fils, Fawzi était actionnaire dans cette société. Il ne le saura, dit-il, que plus tard « au cours de l'instruction ». Le dossier est monté de la base du 24-Février pour être étudié par la commission exécutive où « tous les avis sont écoutés », explique-t-il. Meziane est interrogé par le juge sur la rencontre avec Mohamed Réda Djaffar dans son bureau et si cela n'est pas interprété comme le « feu vert » de sa part pour le marché. Il lui demande s'il n'aurait pas été plus indiqué que ce dernier « aille à la commission et retire le cahier des charges ». Cela a aussitôt soulevé la protestation des avocats qui ont attiré l'attention du président du tribunal sur le fait que « ce n'était pas encore le stade de l'appel d'offres mais de simples discussions ». Le juge fait remarquer au collectif d'avocats que « le tribunal criminel est souverain dans la gestion du dossier et ne peut être orienté par une quelconque partie ». Il poursuit avec l'accusé sur la directive de passation des marchés à Sonatrach, la R14, créée en 2004. Pour Meziane, cette directive remonte à 1971, les sociétés comme Sonelgaz et Sonatrach n'étaient pas soumises au code des marchés publics. « On nous a demandé d'élaborer des procédures internes qui tiennent compte de l'évolution du marché, du développement de l'économie », poursuit-il, précisant que dans cette directive, on a retenu le principe de deux soumissionnaires et plus tard on a rajouté un troisième pour éviter des ententes. « Mes instructions ont toujours été claires, quand on peut gagner un dinar ou un dollar, on y va », a-t-il ajouté En tout cas, « toute décision d'investissement à Sonatrach est portée à la connaissance des membres de l'exécutif et chacun y donnait son avis », se défend Mohamed Meziane.