Deux semaines après la déferlante tunisienne qui a emporté le régime honni de Ben Ali, la rue égyptienne s'enflamme. A l'appel d'un mouvement de l'opposition démocrate, soutenu par Ghad, le Front démocratique et le nobélisé Mohamed el Baradai, la contestation populaire a, pour la première fois depuis les émeutes de la faim de 1977, défié le régime finissant des Al Moubarak pour défendre « le droit de vivre, la liberté et la dignité. » Ils étaient 10.000 à la place Tahrir du Caire et, un peu moins, à Assouan et Ismaïlya (5.000) à crier leur désarroi pour délivrer le message du changement démocratique pacifique. Malgré la répression (5 morts dont un policier et 200 arrestations) et l'interdiction de tout « acte de provocation, rassemblement de protestation, marche ou manifestation », formulée par le ministre de l'Intérieur, la mobilisation est maintenue par le « mouvement du 6 avril », en référence à la grève générale du Delta du Nil de 2008 qui a tourné aux émeutes. Un nouvel appel, relayé par les réseaux sociaux (Facebook et Twitter), a été ainsi lancé pour « continuer ce que nous avons commencé le 25 janvier. » A l'heure des réformes démocratiques, le régime égyptien, assuré d'une mainmise totale sur la vie politique et parlementaire, est confronté à la montée de la violence communautaire et de la contestation sociale. A moins de 8 mois de l'élection présidentielle, le choix de la démocratisation et de l'alternance a-t-il clos le vieux débat de la transmission dynastique du pouvoir ? Sous l'impulsion de la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, dénonçant la veille de la fuite de Ben Ali l'état de « corruption » et de « sclérose » du monde arabe, le temps du GMO (Grand Moyen-Orient) impérial de Bush à Obama participe à « la refondation stratégique ». La thèse du « chaos constructif » qui essaime l'Irak du démembrement programmé de l'Etat national et de la guerre civile, confessionnelle et/ou communautaire, est en panne d'alternative clairement exprimée par le refus de la refonte de la Ligue arabe et du canevas des réformes prescrites au sommet arabe de Tunis. Le basculement est à l'ordre du jour des alliés d'hier convertis dans le dogme démocratique. Si, dans le cas tunisien, la France qui se prévaut de sa responsabilité de puissance coloniale a vu tout faux avec la régence de Carthage et s'en est publiquement repentie, Washington a exigé du Caire d'être « sensible » aux aspirations de son peuple. « Nous surveillons de près la situation en Egypte. Les Etats-Unis soutiennent le droit fondamental à chacun à la libre expression et au rassemblement », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Phillip Crowley. L'Occident campe dans l'indignation oscillant entre l'inquiétude de Berlin, l'appel français à « plus de démocratie » et la perception de l'UE du « signal » en faveur du « changement politique ». Moubarak lâché par les siens ? Voilà venir le temps des incertitudes. La rue égyptienne bouillonne : pour la deuxième journée consécutive, au centre du Caire et à Suez, 2.000 personnes ont manifesté 500 ont été arrêtées. Le bras de fer est désormais enclenché.