Il a neigé la veille sur Takintoucht et il fait froid, rendu plus pinçant par le souffle du vent. Aller jusqu'à cette cime n'est pas ardu. Une fois arrivé à Kendira, il faut d'abord suivre une route qui grimpe en lacet avant de prendre la piste, ouverte par les forestier pour lutter contre les incendies de forêt récurrents. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs ils ont installé un poste de vigie au sommet de Takintoucht, qui signifie cime, que les locaux prononcent Tikintoucht. Aux linguistes de trancher. Takintoucht ou tikintoucht, sur internet, les deux prononciations ouvrent sur de bien maigres références, preuve s'il en est du peu d'intérêt que l'endroit suscite pour le moment. Contrairement aux Romains qui ont tout de suite compris son intérêt stratégique et qui, selon une notice, ont laissé chemins et ruines, notamment à Tablat ou'Zrou et Akham ou Roumi. De ce nid d'aigle, on peut surveiller une vaste région. Faisant partie de la chaîne des Babors, culminant à quelque 1.700 m d'altitude, plus haut que le vol des corbeaux qui tournoyaient autour de quelque charogne, le mont Takintoucht permet d'avoir l'œil sur Yemma Gouraya et la mer où somnolent les bateaux en rade, sur Sétif, et sur Bordj Bou Arreridj. 360 degrés d'un relief à la beauté tourmentée où se disputent forêts, maquis et, plus bas et parcelles agricoles. A cette altitude, nulle trace de villages, d'animaux d'élevage ou d'agriculture. Difficile de faire pousser quelque chose sur cette rocaille schisteuse à peine recouverte d'une couche de poussière pour faire office de sol, et la rigueur des hivers dans ce coin venteux n'est pas pour favoriser la venue de pantouflards. Mais l'endroit peut être une destination touristique. Les bouteilles de bière qui jonchent le sol sont déjà un indice d'une certaine fréquentation. Ce ne sont certainement pas les meilleurs touristes qu'on peut espérer, mais un peu d'effort en matière de promotion permettra de transformer ces lieux déserts à la beauté abandonnée aux quatre vents en lieu de villégiature pour les amoureux de la nature, sans compter les fanatiques de l'effort musculaire. La réaction de ces visiteurs d'un jour offre déjà un bon indice. Chacun a sorti son assortiment de prise de vues, pour immortaliser les magnifiques paysages ou prendre des selfies en compagnie des copains ou des quelques arbres aux branches superbement cristallisées par la neige. Assirem Gouraya, pour sa part, y croit et c'est la raison pour laquelle, prenant opportunité de la période de la fête d'Anzar, elle y a organisé cette randonnée pédestre sur ce site, avec l'espoir de partager cet amour avec les participants, mais aussi avec les habitants des localités environnantes pour les rendre plus fiers de leurs terroirs et les inciter à les promouvoir. « Notre objectif, explicitera Amar Rabhi, le président de l'association, est de sensibiliser sur la nécessité de protéger la forêt des incendies et, par là même, de favoriser l'écotourisme, pour impulser au final une dynamique économique et un développement durable au bénéfice des habitants de ce terroir aux potentialités évidentes ». Les citoyens des localités environnantes veulent aussi croire à ce projet de longue haleine. Une équipée de mères de famille s'est associée à cette randonnée et a, sur le sommet de Takintoucht, donné en quelque sorte sa bénédiction en s'improvisant en chorale pour chanter quelques morceaux d'« achouak ». Cette escapade loin des fourneaux les a revigorées et elles semblaient avoir retrouvé une seconde jeunesse, caracolant devant leurs invités essoufflés par une longue marche. Même l'espièglerie de leur enfance a bourgeonné de nouveau, suscitant l'amusement de l'assistance qui jubilait de les voir gaiement jouer à la bataille de boules de neige. Peut-être que Takintoucht cache le secret de l'élixir de jeunesse. Pourquoi ne pas le découvrir en allant y faire un tour ?