La première, c'était lors du passage au pluralisme politique en 1988. Ce qui a permis à la presse écrite d'opérer sa mue. Un bémol cependant. Celle-ci ne s'adressait pas à toutes les catégorises de la société, mais spécialement à une élite. La deuxième phase concerne la période post-printemps arabe ayant coïncidé avec l'ouverture du champ audiovisuel. Cela a constitué une véritable transformation car la cible s'est élargie. Nombreux sont ceux qui suivent actuellement les chaînes de télévision privées, souligne-t-il, non sans préciser que cela n'a pas été sans conséquences. « Une importante problématique a fait surface au sein du champ médiatique. La course aux bénéfices a engendré la course au sensationnel. Des sujets tabous ont bousculé la donne dans le but de ratisser large en termes d'audimat ». Cependant, pour dépasser cette période, il faudrait inévitablement, de l'avis du professeur Bekkis, « établir des élites médiatiques ». Le nombre important de journalistes dont l'expérience est en constante évolution est susceptible d'ériger ces élites performantes. Ce qui se répercutera sur la qualité du produit médiatique. Une décantation s'impose dans le champ audiovisuel Aujourd'hui, précise-t-il, il est prématuré de parler d'un secteur médiatique fort et puissant. Notre presse doit s'organiser davantage car elle vient juste d'aborder l'information « lourde ». Les nouvelles chaînes de télévision doivent se diriger vers le professionnalisme. Bekkis a relevé, cependant, que l'ouverture du champ audiovisuel consécutive au nouveau code de l'information de janvier 2012 reflète une nouvelle expérience qui fait ses premiers pas. « Compte tenu de la conjoncture actuelle, on peut dire que le premier rendement de ces chaînes de télévision privées est un signe de bonne santé. Les erreurs sont inévitables. A première vue, il nous apparaît qu'elles offrent un produit négatif et non encadré. En réalité, c'est une phase de transition de laquelle émergera forcément une élite rodée. Cette situation est tributaire des conditions dans lesquelles évolue la presse en général. Au fil du temps, une décantation s'imposera d'elle-même dans ce domaine, une fois que les véritables vecteurs de l'opinion publique arriveront à convaincre du bien-fondé de leurs feuilles de route. Cette période de transition a besoin toutefois d'accompagnement et non de jugements hostiles comme c'est le cas pour toutes les expériences mondiales », a-t-il fait remarquer en se montrant optimiste étant donné que ce n'est que le début d'un long processus. Un début exceptionnel mais inéluctable. Bekkis indique qu'il ne faut surtout pas perdre de vue que ces chaînes ont réussi à récupérer le téléspectateur algérien qui, par le passé, avait complètement boudé les chaînes nationales. Certes la qualité laisse à désirer, mais une chose est sûre, leurs programmes s'amélioreront assurément car elles seront obligées de passer à des programmes de qualité pour répondre aux exigences du téléspectateur algérien. A ce moment-là, on ressentira une évolution du côté de l'émetteur du message et de celui qui le recevra. Les instances devant professionnaliser le métier Le nouveau code de l'information a instauré également des instances devant régir au mieux la presse écrite et le secteur audiovisuel. En vertu de ce texte, il sera question incessamment de mettre en place un conseil de déontologie et d'éthique alors que l'autorité de régulation du champ audiovisuel a été déjà installée. Ces instances partageront la mission de veiller au respect de l'éthique, au règlement des contentieux et au contrôle du fonctionnement du secteur. Le Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie élabore et adopte une charte d'honneur de la profession de journalisme. L'Autorité de régulation de l'audiovisuel, composée de neuf membres, doit, selon la loi n°14-04 du 24 février 2014 relative à l'activité audiovisuelle publiée au Journal officiel n°16 du 23 mars 2014, veiller à l'impartialité des personnes morales exploitant les services de communication audiovisuelle relevant du secteur public. Elle est chargée de garantir l'objectivité et la transparence, de veiller à la promotion et au soutien des deux langues nationales et de la culture nationale et au respect de l'expression plurielle des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de diffusion sonore et télévisuelle, notamment lors des émissions d'information politique et générale. A ce titre, le professeur Bekkis a avoué que ces instances assumeront une mission difficile dans la mesure où il sera dur d'imposer une certaine « influence ». Toutes les institutions de l'Etat subissent des phases de transition et ce, sous la pression des menaces externes. Aucune institution ne pourra maîtriser en ce moment cette ouverture médiatique. Appliquer la loi en toute rigueur ne sera pas une mince affaire, car cette ouverture est vitale pour notre société. Les défaillances ne sont pas uniquement d'ordre médiatique. Elles sont politiques et économiques. De l'avis de Bekkis, « le discours de nos médias n'est pas homogène. La presse jouit d'une importante marge de liberté. Elle n'a pas encore atteint le stade qui lui permet de financer des formations au profit des journalistes. » Les médias libres sont devenus des outils de contrôle D'où son incapacité à offrir une lecture médiatique objective. « On remarquera souvent que les comptes-rendus des couvertures sont divergents. Ce qui porte atteinte parfois aux intérêts suprêmes du pays », dira-t-il en substance. En dépit de tout cela, Bekkis tient à rappeler encore une fois que les médias ainsi que toutes les institutions de l'Etat sont en train de vivre une phase de mutation. Il a souligné que l'ouverture médiatique est en train d'offrir « une grande bouffée d'oxygène » au téléspectateur algérien. Il a reconnu toutefois que la marge de liberté d'expression est très importante en Algérie. Cette liberté stimule les décideurs et les oblige à intervenir diligemment et efficacement. « Les institutions de l'Etat sont aujourd'hui sous l'œil des caméras. Les médias libres sont devenus des outils de contrôle. Ce qui constitue une valeur ajoutée non négligeable puisqu'ils assument pleinement leur mission de quatrième pouvoir ». Concernant la presse publique, notre interlocuteur est catégorique. Si elle n'évolue pas, elle est vouée à disparaître graduellement. Sa marge de manœuvre est très limitée », dira-t-il en plaidant pour son adaptation aux exigences de l'heure afin que ses compétences puissent s'épanouir au même titre que celles exerçant dans le secteur privé. Il faut des textes réglementaires Belkacem Mostefaoui, professeur et directeur de recherche à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information, aborde, quant à lui, cette question avec une vision plutôt critique. Selon lui, l'espace médiatique du pays baigne dans la dynamique des flux mondialisés et des contingences nationales. Les connexions entre les deux fabriquent forcément les réalités complexes du pays. La loi organique sur l'information de janvier 2012 a tenté, d'après Mostefaoui, d'actualiser les rapports de la société algérienne aux exigences de liberté et de communication. La loi sur les activités de l'audiovisuel de mars 2014 a aussi tenté d'opérer des ajustements. Lesquels n'ont pas conforté suffisamment les médias du pays. Et pour cause, aucune de ces deux lois, si importantes, n'a été suivie de textes réglementaires. Sans dispositif réglementaire, aucune loi si bonne ou idéalisée soit-elle, ne peut servir le droit. Elle ne peut pas être ce bouclier social qui fait avancer, dans la réalité, les droits, élargir les capacités des citoyens à construire l'espace public citoyen. L'enjeu de l'heure, déclare-t-il, serait de dépolluer les entreprises médiatiques de l'argent, la pub/communication qui les gangrènent, et les détournent des valeurs du journalisme. « Permettez-moi de continuer de croire en cet idéal : un média n'est libre que quand il développe ses capacités d'autonomisation vis-à-vis de deux sources corruptrices de liberté : l'argent et le pouvoir politique. C'est un idéal, et un beau défi à mener », conclut-il.