Le premier livre de Djamila Abdelli Labiod* commence comme un roman. Lina, adolescente de 17 ans, est tiraillée entre l'amour filial, les devoirs envers ses parents et les élans irrépressibles de son cœur qui protège ses secrets. A cet âge où l'on rêve de prince charmant et de vêtements, la timide collégienne se laisse emporter par ses rêves. La narratrice vit dans une localité de la vallée de la Soummam mais une bonne partie de ses souvenirs s'enracinent ailleurs, à Paris, là où elle a passé son enfance et une partie de son adolescence, jamais oubliées. Rien ne fera effacer de sa mémoire ces années d'insouciance marquées par les jeux, les farces propres à cet âge d'enchantement et de curiosité. Aux charmes de la ville-lumière se mêlent des réminiscences liées à la vie âpre du père, modeste marchand de fruits et légumes. L'auteur nous replonge dans une période où l'émigration était une parenthèse pour des parents pressés de revenir au pays. La mère s'est certes affranchie des rigueurs de la tradition mais même un geste aussi banal que l'achat d'une toile cirée imprimée de coquelicots la renvoie au pays où ces fleurs recouvrent les champs. « Grâce à cette toile cirée, elle retrouvait un peu de son bled. Avec un soin particulier, ma mère rangea au fond de son sac ce petit bout de l'Algérie qui lui manquait terriblement » (p 82). Le foyer était aussi empli des frayeurs liées à la guerre notamment à la journée du 17 Octobre 1961. Alimenter l'imaginaire Le livre n'est pourtant nullement une chronique douce ou amère sur l'émigration comme il en existe tant. La famille revient s'installer au pays, et la narratrice découvre, avec émerveillement, d'abord puis avec dépit et colère, d'autres réalités. A la faveur d'une visite familiale à Alger, elle rencontre un jeune pilote, Djamel, pour qui son cœur va battre. Le roman ne s'attachera pas à faire vivre exclusivement cette idylle. Il emprunte vite d'autres sentiers. Il ne s'agira plus de suivre cet amour palpitant qui sera un arrière-fond comme le Paris de l'enfance. L'un et l'autre serviront à alimenter l'imaginaire de l'adolescente, tantôt à nourrir sa nostalgie, tantôt à raffermir sa volonté. Dans la capitale, en ce début des années 70, ses cousines l'introduisent dans un univers méconnu et insoupçonné pour la fille venue « d'un village poudré de monotonie ». Garçons et filles mêlés dansent sur des airs des Beatles. Dans son milieu, les femmes sont privées de leurs droits élémentaires. Décrivant le quotidien de sa mère et d'autres femmes, l'auteur nous replonge dans cette période où s'entremêlent plaisirs simples et grandes injustices envers les femmes. Cette rupture entre la naissance d'un sentiment amoureux vite enterré sous un tombereau de souvenirs et de rêveries nuit quelque peu à l'unité du récit. Dans certains passages, il pèse aussi par un caractère sociologique trop affirmé. La lecture du roman laisse comme un goût d'inachevé, imperfection que sauvent le style pétri de fraîcheur et l'immersion réussie dans le cœur et l'esprit agités d'une adolescente tiraillée entre plusieurs mémoires. R. Hammoudi *La réglisse de mon enfance-157 pages-Editions Baghdadi