Lella, qui croyait aux vertus des épices, avait hérité de ses aïeules l'art des mélanges, des décoctions, qui, consommées en tisanes, « réchauffent » le ventre, libèrent la bile, adoucissent la gorge, guérissent la toux, apaisent les douleurs menstruelles, les nausées ou les maux de tête. De même que Lella utilisait, après les avoir séchées, toute une pharmacopée de plantes médicinales telles que l'aneth, le thym et le laurier en cuisine, le romarin, la camomille et l'absinthe, la lavande et la mauve, l'origan, les feuilles de bigaradier et de néflier, la sauge, la menthe, la verveine, les écorces séchées de grenades, le tilleul, les queues de cerise et l'armoise. Par contre, les feuilles du basilic, de l'absinthe, de la marjolaine et celles du géranium, étaient utilisées fraîches. D'autres préparations concernaient la cuisine et la pâtisserie. Pour les soupes de ramadan, les vermicelles étaient roulés quelques semaines à l'avance ; très fins pour le consommé blanc, douida, moyens pour les chorbas, mqetfa, d'un diamètre supérieur pour les pâtes, mqirna. Ces vermicelles sont le produit d'un long et patient labeur effectué par les vieilles dames qui, assises, tout en bavardant, frottent entre le pouce et l'index des petits bâtons de pâte composée de semoule fine et d'eau, qui tombent en fins vermisseaux. Mis à sécher à l'air sur des tamis, ils seront grillés dans une poêle et rangés en bocaux. Ne restait alors que la pâte d'amande qui nécessitera également un jour de préparation. Les fruits seront mondés et mis à sécher sur des draps tendus au sol, à la terrasse, quelques jours à l'avance, puis moulus, tamisés, sassés, calibrés, sucrés selon les proportions établies, et serrés en bocaux. La surveillance des amandes était comme de bien entendu confiée à Nora. Livre à la main, la fillette s'asseyait à un angle de l'étage de Dar Youcef, et veillait à ce que les pigeons - qui étaient « sûrs et certains », comme disait Salika, que ces nobles graines leur étaient offertes ne viennent se sustenter ! Intriguée, Nora autorisa cependant l'un de ces chapardeurs à se servir et l'observa ; l'amande était ronde, galbée, et son volume dépassait de loin celui du bec du pigeon. A la grande surprise de la fillette, l'oiseau la goba vite fait, s'étrangla quelque peu, réajusta la déglutition par quelques mouvements de gauche et de droite du cou, et l'avala ! Comment s'y prenait-il ? s'interrogea, pensive, la gardienne des tomates à Alger et des amandes à Cherchell !