Il replongeait dans ses souvenirs et ruminait un tas d'idées mélancoliques en attendant l'apparition du dentiste. La petite salle d'attente encombrée de piles de journaux et de revues écornées était une véritable étuve. Perdu dans ses pensées, l'image de la classe de son enfance a instantanément surgi dans son esprit comme une brise. Gamins, ils décoraient ses murs avec des images en couleurs. Il n'a pas oublié celle du chasseur qui revenait au crépuscule avec une besace débordant de cailles et de grives. Un chien à museau blanc tacheté de points noirs trottait derrière lui. Il faisait toujours penser à un vieux de son quartier. Il chassait sur des collines herbeuses où pullulaient ces deux volatiles. Ce Tartarin prétendait pourtant qu'il ne tirait que sur les sangliers, les seuls animaux qu'il jugeait dignes de lui et de sa réputation. Sur la seconde image, des cerfs s'ébattaient dans une clairière semblable à celle qui jouxtait l'école, même si les arbres n'étaient pas aussi grands et élancés. Les enfants ne s'y rendaient jamais depuis qu'ils avaient débusqué des sangliers qui avaient fui dans un énorme boucan. Ah s'ils pouvaient supprimer ces animaux qui saccagent les récoltes ! A la place, ils se contenteraient bien d'une petite biche aux yeux doux, un animal triste et inoffensif. Quand le cours était ennuyeux, ces images venaient se superposer sur le visage du maître. Les gamins étaient alors plus attentifs aux pépiements des oiseaux qui venaient becqueter sur le bord de la fenêtre. Ses explications sur l'usage des verbes irréguliers n'intéressaient personne. Parfois, lui s'imaginait que d'un seul coup, il se mettrait à neiger et que des cerfs vont aussitôt sortir des bois qui cernaient l'école. La classe accueille désormais différents paliers. Elle semble n'appartenir à personne et nul ne s'en souciait. Des plaques de peinture se détachaient des murs nus et une longue palissade en béton faisait ressembler l'école à une caserne. Les étroites ouvertures dans la clôture de roseaux et de genêts ont disparu. Aucun élève, entre deux cours, ne pouvait plus se rendre dans les champs, inspecter ses pièges et revenir, un rouge-gorge tout frémissant enfoui dans la poche. L'herbe ne poussait plus dans la cour aplanie que de son temps, quelques vaches traversaient avec nonchalance. Elles ruminaient parfois à l'ombre d'un immense micocoulier, indifférentes à l'agitation des enfants qui couraient. Comme des arbres déracinés, les élèves étaient ballottés au gré de l'emploi du temps. A chaque séance, ils couraient vers une nouvelle division. Personne n'utilise désormais le mot classe.