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La ville d'Abdelmoumen, une cité en pleine mutation Docteur El Ghaouti Essenouci, du département d'archéologie et de culture populaire de l'université Abou-Bakr-Belkaïd de Tlemcen
Histoire La région a connu le passage de plusieurs dynasties, entre autres les Almohades, les Abdalwadides et les Mérinides. Voulez-vous nous parler de toutes ces époques ? Il n'y eut certainement pas de ville romaine à l'emplacement de Nedroma. Léon l'Africain est à l'origine de cette légende, de même qu'il est à la source de la fausse étymologie du nom de Nedroma : « Ned-Roma », « rivale de Rome » car, jusqu'à l'heure actuelle, il ne fut jamais découvert de vestiges, ni d'inscriptions, pouvant l'attester. Pour sa part, René Basset a indiqué que l'emplacement de Nedroma aurait été d'abord occupé par la ville berbère de Falousen dont parle Al-Yakoubi dans son livre « Kitâb-al buldân » (278H/891-892), ce qui nous réfère à la chaîne de montagnes, à laquelle est adossée la ville et qui porte aujourd'hui encore le nom de Fillaoussène. On remarquera que la ville et le nom de Nedroma existaient déjà à l'époque almoravide, probablement même avant. Le nom de Nedroma est en effet mentionné pour la première fois par Al-Bekri (1068), qui la situe au pied d'une grande montagne, le Fillaoussène. Au nord et à l'occident de la ville, s'étendent des plaines fertiles et des champs cultivés. Elle est à dix miles de la mer, c'est une ville considérable, entourée de murailles et possédant une rivière bordée de jardins qui produisent toutes sortes de fruits. Abdelmoumen, le premier des princes almohades, est le fondateur de Nedroma, selon la tradition populaire, qui en a fait le « héros » de la cité. Issu de la tribu des Koumia, dont les Nedroma étaient une branche, son lieu d'origine est généralement fixé au pied du Tadjra. Il l'aurait peuplée dès l'origine d'otages pris dans les grandes tribus du Maroc. Ces traditions sont difficiles à vérifier aujourd'hui, mais il faut bien admettre que certains noms de famille sont ceux de grandes tribus marocaines : les Ghomara, les Zerahana, les Sanhadja, entre autres. Par ailleurs, la prise d'otages pour s'assurer la fidélité de partenaires politiques était couramment pratiquée à l'époque. On dit que Nedroma a bénéficié d'un statut d'indépendant. Plus d'explications ? Il semble que vers la fin de l'époque almohade, Nedroma ait bénéficié d'un statut d'indépendant. C'est ce que suggère néanmoins l'épisode rapporté par Ibn Khaldoun, dans son « Histoire des Berbères », et situé au temps où Djâbir Ibn Yousouf qui était gouverneur de Tlemcen et de sa région, au nom du sultan almohade Al Moumen. Dans son « Histoire de Nedroma », Al Hadj Hamza Ben Rahal précise plutôt « qu'une pierre fut lancée des remparts par l'un des assiégés, Yousef al Chaffari, originaire de Tlemcen », qui mit ainsi fin aux jours du tyran et fit lever le siège à l'ennemi. La ville demeura indépendante. Et au sujet des Abdel-Wadide et Merinide ? La tribu zénata des Béni Abd-El-Wâdd avait été installée par Abd Al Mûmin dans la partie occidentale de l'Oranie, en récompense de son ralliement et dans le but d'y maintenir l'autorité du souverain. La fortune des Abdel-Wadîde commence en 1235 par le long règne de Yaghmorasan Ibn Zeyyâne (1235-1283), qui créa un Etat indépendant ayant pour capitale Tlemcen. On sait que les Abdel-Wadîde furent en conflit quasi permanent avec leurs cousins germains, les Merinîde de Fès. C'est au cours d'un conflit entre Yaghmorasan et le Mérinîde Abou Yousouf Yaqoub (1258-1286) que Haroun Ben Moussa, chef des Matghara de Taount, prit parti pour le Mérinîde et s'empara de Nedroma. La ville fut bientôt reprise par Yaghmorasan, puis par Abou Yousouf qui la rendit à Haroun Ben Moussa. Enfin, elle fut reprise par Yaghmorasan vers 1268-1269. Il semble qu'elle ne fut pas reprise par Abou Yousouf, lorsque ce prince vainquit les Abdal-Wadîde près de l'Oued Isly (16 février 1272) et qu'il vint assiéger Tlemcen sans résultat. Il bâtit, en effet, cette même année, une forteresse avancée à Taount, près de l'actuelle Ghazaouet. Architecture Vous êtes spécialiste en architecture et urbanisme islamique. Que pensez-vous donc de Nedroma dans l'armature urbaine ? Nedroma n'est plus la cité médiévale que de nombreux auteurs décrivaient récemment encore. Le paysage urbain s'est fortement modifié, la ville et sa région connaissent depuis quelques années les mutations les plus profondes de leur histoire. La configuration spatiale du grand Nedroma est composée de Sidi Abderrahmane, la vieille ville et la nouvelle ville ? Plus de détails ? L'analyse de la structure urbaine de cette grande agglomération montre qu'il y a déséquilibre dans les fonctions fondamentales de la médina. A une ville organique, unitaire et solidaire, a succédé un ensemble, désormais aléatoire, de formes socio-spatiales éclatées, marquées par des processus de territorialité prépondérante, non seulement coupées les unes des autres, mais campées dans une sorte de retranchement social et politique. C'est ainsi que la division spatio-temporelle de la cité devient une sorte de raccourci de l'évolution problématique et négative de l'urbain et de la société. La vieille ville y apparaît comme un espace de transition entre deux gros bourgs : Sidi Abderrah-mane et la ville nouvelle. Certes, le développement décousu de la structure urbaine, l'abandon des terrains vierges au nord et les contraintes physiques du sud, ont amené le secteur d'Etat à s'installer sur les terrains vides du quartier européen ou à sa périphérie. Il s'agit donc d'une fragmentation de la ville. La cause ? La cause de cette fragmentation de la vieille ville, de ses fonctions et de ses espaces, n'est autre que la résultante de causes physiologiques relatives aux nécessités et aux modalités de croissance ; elle est aussi le produit de la dualité de la société et de l'économie qui a caractérisé d'une part l'histoire de la colonisation, et d'autre part la rapidité des processus d'urbanisation enregistrés ces dernières années, elle est surtout la conséquence de l'incapacité des gouvernements à y faire face. La notion de fragmentation se caractérise par la multiplication des registres d'appartenance. Elle est à l'origine liée aux transformations du marché du travail, dans le cadre de la globalisation des structures économiques, à la question de la pauvreté croissante et des différentiations socio-économiques. Elle apparaît alors comme le résultat spatialisé des « effets de la globalisation, de la restructuration économique et de l'ajustement structurel sur la pauvreté, en un temps où les modalités de régulation politique antérieures étaient en crise. » C'est donc la médina qui intégrera les ruraux venus des quartiers périphériques ou directement de la campagne. L'économie urbaine fera le reste : elle fera de ces nouveaux migrants des « néo-citadins ». Et concernant la configuration spatiale de la médina ? Si l'on fait une lecture de la configuration spatiale de la vieille ville, l'on discernera aisément que sans être l'égale des grandes métropoles telles que Fès, Kairouan, Constantine ou même Tlemcen, Nedroma fait partie de la famille des médinas. Elle répond, en effet, à l'organisation de toute ville arabo-musulmane du Maghreb et en présente les caractéristiques essentielles. Celles-ci sont concrétisées principalement par les indices, à savoir une muraille fortifiée ceinturant la médina, des voies principales pénétrant la médina à partir de portails monumentaux (tels que Bâb al Kasbah et Bâb al Médina), des derbs ...... Quant à la place Tarbiaa, qui jouait un rôle prépondérant dans la structure de la ville - grâce aux échanges économiques et culturels qu'elle générait, cette dernière a singulièrement perdu son rôle symbolique d'agora, carrefour au sein de la médina. La mutation de la structure urbaine, avec l'implantation récente de nouveaux équipements, a vu le centre-ville échapper à la Tarbiaa et glisser irrémédiablement vers d'autres zones. Les activités artisanales sont ainsi transposées vers le nord. Les ateliers de menuiserie, de confection et autres prestations, sont localisés au-delà de la périphérie de la vieille ville. Dans la médina, néanmoins, la fonction commerçante et boutiquière, l'activité de service, sont restées vivaces. Une bonne partie des épiciers et des bonnetiers, la quasi-totalité des coiffeurs, et les bains maures, ont su résister à cette expatriation forcée. D'un autre côté, les fonctions cultuelle et culturelle ont su résister au démembrement chaotique du développement urbain. Leur survie demeure sans doute subordonnée à des référentiels communs aux individus formant des collectivités de type variable mais porteuses d'une identité commune - quelle que soit l'origine de celle-ci : sociale, culturelle, ethnique, religieuse ou autres... Monument A Nedroma, et parmi les éléments structurants de la médina, figurent la grande mosquée et les remparts. Un bref aperçu ? Pour la grande mosquée, c'est une destination privilégiée de la médina et un lieu fondamental de la prière du Vendredi, Elle existait dès le XIe siècle, puisqu'un fragment d'une plaque de cèdre, ayant fait partie d'une chaire de mosquée (minbar) datée de 1090, y fut découverte en 1900. L'inscription en caractères coufiques dit : « Ceci est le présent de l'émir le Sid...ben Yousef ben Tachfin, qu'Allah le maintienne dans le droit chemin... a eu lieu l'achèvement de ceci, par les soins du jurisconsulte le Cadi Abou Mohammed ‘Abdallah ben Saïd, le jour du jeudi 17 du mois de... » (Les deux dernières lignes sont effacées). Le minaret de la mosquée est plus récent, il fut construit en 1348, comme l'indique l'inscription arabe gravée sur le marbre à l'intérieur de la mosquée : « Au nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux. Bénédiction d'Allah sur notre seigneur Mohammed. Les gens de Nedroma ont construit ce minaret avec leur argent et de leurs propres mains. Toute récompense vient d'Allah. Il fut construit en cinquante jours. Il fut bâti par Mohammed ben Abdelhaqq ben Abderrahmane ech-Chisi, l'an 749. La Miséricorde d'Allah sur tous. » La ville comprend, d'autre part, un nombre important d'édifices religieux : des mosquées de quartier, des lieux saints et des écoles coraniques. Concernant les remparts, sachez que les premiers temps de sa fondation, Nedroma est considérée comme une importante base militaire. Le géographe El Ya'koubi affirme qu'au début du IXe siècle « Nedroma était entourée d'un mur de briques et d'argile ». Souvent endommagée, voire totalement détruite, au cours du Moyen Age, l'enceinte conserva toujours son tracé d'origine. Elle était parsemée de différentes portes (Bâb el Casbah). Les remparts ont disparu des côtés nord et est mais ils subsistent encore, du côté sud et à l'ouest. Ces murailles sont utilisées, dans beaucoup d'endroits, comme mur de clôture ou mur de soutènement. En dépit de sa tendance à s'excentrer suite à ce processus d'urbanisation, la vieille ville conserve encore quelque vivacité du fait qu'elle concentre la grande mosquée, des commerces, des services et des souks. Aujourd'hui, on constate une certaine dégradation. Est-ce dû au laisser-aller ? La dégradation de l'ancien tissu de la médina est accentuée par le vieillissement du bâti et sa désaffectation, souvent volontaire. Ainsi, les ruelles perdent leurs fonctions, leurs activités, leur rôle, et de ce fait, leur dynamisme. Aujourd'hui, nous remarquons que les quartiers de la vieille ville jouent un rôle prépondérant dans le processus d'intégration des ruraux (nouveaux citadins) pendant que nombre de propriétaires abandonnent les lieux pour rejoindre la nouvelle ville ou les grandes métropoles, telles que Tlemcen, Oran ou Alger. Cette « substitution communautaire », loin de préserver l'équilibre de la cité, va engendrer un désordre social et urbain qui ne manquera de l'affecter dans ses structures les plus profondes (cadre bâti, voiries et réseaux divers, activités commerçantes, surpeuplement des habitations, etc.) Nedroma, carrefour multifonctionnel et à vocation régionale, enregistre ainsi de fortes pressions dues à diverses contraintes, essentiellement de nature géotechnique, agricole, archéologique et juridique. Ces dernières ont engendré un énorme retard de développement de la région. Dans ce contexte, l'agglomération de Nedroma doit maîtriser son urbanisation future et rattraper le retard et le déficit cumulés en matière d'aménagement et d'équipement afin de redéfinir sa vocation et jouer pleinement son rôle dans l'armature urbaine locale et régionale en tant que capitale régionale, à savoir une ville de commerce, de services, d'artisanat et de tourisme Quelle évolution de la médina à travers les périodes ? Comme dans la plupart des anciennes villes du Maghreb qui se sont formées autour d'un noyau historique, la médina de Nedroma, même franchement érodée par le tissu moderne, continue à apparaître comme un espace fragmenté des autres : compacité du tissu, dont la typo-morphologie d'habitat est composée d'unités introverties malgré de nombreuses altérations, infrastructures, équipements et services quasiment sous- normalisés par comparaison à la ville nouvelle et aux actuels règlements d'urbanisme parfois même assimilables aux niveaux de quartiers périphériques spontanés. L'habitat illicite est lui-même spasmodique et contribue indifféremment à la dislocation apparente du tissu. Cette discontinuité du paysage urbain nedromi s'inscrit singulièrement dans les limites de l'évolution de l'urbanisation en Algérie. Ainsi, il serait possible d'y distinguer plusieurs étapes. Primo : dans les années 30, la paupérisation conséquente à la crise agricole et à la montée démographique a amorcé un exode important vers les villes et entraîné l'émergence des premiers bidonvilles. L'on notera que l'intervention coloniale s'est basée sur la création d'une ville européenne, prenant possession de la médina s'agglutinant à elle, la ceinturant, captant ses principales activités pour enfin la juguler. Secundo : cet urbanisme colonial, de style militaire au départ, fait place ensuite à des préoccupations économiques et spéculatives. Il est fondé sur le principe d'accessibilité et de pénétration : larges avenues fendant les villes anciennes, vastes places déstabilisatrices, bâtiments monumentaux, constructions en front de mer. Mais à l'indépendance, une forte population s'installe dans les villes, suite au départ massif des Européens, générant un accroissement notable du taux d'urbanisation. Toutefois, les programmes de développement engagés, essentiellement dans les zones urbaines, ont donné un second souffle à l'exode rural, soutenu par l'arrêt de l'émigration vers la France à partir de 1973. Cependant, et de 1966 à 1987, la population habitant les grandes villes s'est multipliée. Les premières migrations se sont fixées dans les anciens centres pour s'acheminer ensuite vers les marges des villes donnant naissance à des périphéries urbaines submergées de bidonvilles, d'habitat auto-construit et de cités de recasement. Aujourd'hui, ces périphéries semblent être dépassées par les implantations réalisées par les pouvoirs publics pour faire face aux besoins du développement, lesquels nécessitent plus d'espace, particulièrement dans les anciens centres déjà étroits. Il en résulte un sérieux décalage entre les programmes d'habitation et le développement des secteurs, secondaire et tertiaire. Grosso modo, la médina de Nedroma, comme partout en Algérie, présente la projection de cet éclatement urbain et ses extensions spatiales se traduisent le plus souvent par des formes urbaines différenciées qui témoignent de l'hétérogénéité des classes sociales et de leur répartition géographique (voir cartes).