Invitée du café littéraire, Myriam Aït-Aoudia a décortiqué pour son auditoire de Béjaïa, réuni dans la salle de la maison de la culture, une période charnière de l'histoire récente de l'Algérie. Son livre-enquête traite de la période où le pays passa subitement du régime du parti unique au multipartisme. « L'expérience démocratique en Algérie (1988-1992) » est paru il y a quelques mois aux éditions Koukou. Pour elle, « cette expérimentation de la démocratie était unique dans la région et dans le monde arabe », relevant qu'elle s'est également terminée par la première violence terroriste, une caractéristique. Cette dernière est diversement appréciée par les chercheurs qui la posent en modèle ou en contre-modèle, selon les convictions des uns et des autres. D'emblée, l'auteure a expliqué que sa démarche n'était pas de rechercher des responsables ni a donner raison ou tort à une quelconque partie. Son travail consistait à tenter de comprendre pourquoi le régime du parti unique s'est subitement effondré. « Pourquoi le processus démocratique qui s'en est enclenché a débouché sur une sanglante tragédie ? », s'est-elle interrogée. Pour elle, « la thèse d'une perte de légitimité du régime et la révolte des marginalisés du système, qui auraient poussé à la libéralisation, est un raisonnement fragile ». « Toutes les émeutes ne débouchent pas sur un changement de régime », a-t-elle soutenu. Trop mécanique, cette logique mène également à ne pas trop se poser de questions puisqu'on a déjà la réponse. Du sens à une démocratie naissante L'enquête menée par la chercheuse a introduit de la complexité et dépassé le cercle des émeutiers et des tenants du pouvoir pour s'élargir aux autres acteurs qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte par les émeutiers d'Octobre 88. « Ce n'est pas la Constitution de 1989 qui a institué le pluralisme. Il est plutôt le résultat d'une conjonction d'événements qui ont mis au devant de la scène d'autres acteurs (islamistes, berbéristes, réformistes, militaires...) », a-t-elle expliqué. Elle en veut pour preuve que la Constitution de 1989 n'a pas été du goût du parti unique et qu'elle n'a fait l'objet d'aucune campagne tendant à la faire approuver par le peuple. Elle relève également le retrait des militaires du Comité central du FLN. Elle n'a pu être possible, selon elle, que par l'arrivée d'officiers moins tournés vers la politique, à la faveur d'un processus de professionnalisation de l'armée. Pour la conférencière, tous ces acteurs étaient dépourvus d'expérience multipartisane et ont tenté de donner du sens, au jour le jour, à cette démocratie naissante. Les partis, rappelle-t-elle, n'avaient aucune idée de la façon de s'organiser pour participer aux élections. Les acteurs inventaient le jeu politique dans le feu de l'action, au fil des événements. Mais entre ces différents courants politiques, la méfiance va s'installer progressivement. La démocratie n'avait pas la même signification pour tous. Elle affirme, enfin, que les résultats de sa recherche lui ont permis de découvrir que « l'arrêt du processus électoral n'était pas anticipé ». L'ouvrage est le fruit d'une thèse soutenue en 2008. Le corpus d'enquête a été constitué à partir d'articles de presse, d'entretiens avec des personnalités politiques de tous bords, des archives de partis (FLN, RCD, FFS, FIS), des textes juridiques encadrant les élections et des décrets de nomination des militaires publiés dans le Journal officiel. Myriam Aït-Aoudia est maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Bordeaux et chercheure au Centre Emile-Durkheim. Elle a codirigé, avec Antoine Roger, l'ouvrage « La Logique du dé-sordre » (Presses de Sciences Po, 2015) et enseigné dans plusieurs universités. Elle est l'auteure de nombreux articles scientifiques sur les partis politiques, l'islamisme et les transitions démocratiques.