Sur la voie de l'historien Mohamed Cherif Sahli, le professeur Zahir Ihaddaden fait de la décolonisation de l'histoire l'un des fondements de son engagement politique et intellectuel. Cette démarche se décline par une bibliographie de référence. Enième démonstration : l'un de ses deux derniers ouvrages « Chakhsiate oua maouakif tarikhia » (personnalités et positions historiques) paru aux éditions Anep. Dans cet essai, l'universitaire dresse un échantillon biographique de quelques grands hommes qui ont façonné l'histoire de l'Algérie notamment durant l'époque médiévale, son autre terrain de prédilection. A la base, le corpus s'appuie sur une sélection d'articles et de conférences datant de 1975 à 2001. S'il n'est pas exhaustif, le choix est loin d'être fortuit. « La période islamique a fait l'objet de plusieurs campagnes de dénigrement et d'altération. Notamment dans les écoles où son enseignement laisse apparaître des zones d'ombre et des exégèses infondées », remarque-t-il en présentant le livre comme une tentative d'approche claire et objective de certains faits et hommes historiques. A l'instar de Soulat Ben Ouzmar, roi des Maghraoua, grande tribu zénète qui a régné, au 7e siècle, de la plaine du Chlef jusqu'aux confins de Tlemcen. Rarement évoqué dans l'histoire du Maghreb, le roi berbère a été pourtant un élément-clé dans la réussite des conquêtes islamiques dans la région et en Andalousie ainsi que dans la propagation de l'Islam. « Selon Ibn Khaldoun, Ben Zoumar a été reçu à Médine par le calife Othman Ibn Aâfan qui a confirmé son trône », écrit l'universitaire en réservant le même intérêt au roi berbère Koceila Ben Lemzem, la Kahina, Okba Ibn Nafaâ, Hassan Ibn Noâman, Moussa Ibn Noussaïr... Le second chapitre de l'ouvrage traite de l'histoire contemporaine, notamment la période coloniale. Là aussi, il ne s'agit que d'une sélection d'évènements ayant fait l'objet de plusieurs conférences animées par l'auteur tels le Royaume arabe proclamé par Bonaparte III, El Mokrani, la naissance de l'Etoile nord-africaine, les massacres du 8 Mai 1945. « Ce sont des faits cruciaux qui ont influencé sur le cours de l'histoire pour ne pas dire qu'ils ont constitué un tournant décisif dans son évolution », soutient-il. Le piège idéologique L'idée de ce livre tient selon Ihaddaden à mettre en lumière la relation « idéologique » liant l'écriture de l'histoire au système politique en place. Le pouvoir cherche à asseoir sa légitimité en s'appuyant sur celle-ci. « Ce qui le pousse jusqu'à falsifier les évènements historiques de manière à harmonier l'histoire avec ses positions politiques », note-t-il dans l'introduction du livre. L'auteur ne manque pas d'arguments. A l'indépendance, souligne-t-il, le pouvoir politique en se plaçant comme héritier de la guerre de libération nationale, s'était permis de donner une lecture à quelques faits qui s'étaient déroulés durant les années de combat, dans le but de renforcer son idéologie, loin de la vérité historique. Idem pour l'ordre colonial en Algérie qui s'est empressé d'édifier une histoire négationniste de l'Algérie. Les Romains n'ont pas fait autrement, puisqu'aux yeux de leurs historiens, Salluste en premier chef, la Numidie n'existait que dans le prolongement de l'Empire. Dans cet ouvrage fortement documenté, Zahir Ihaddaden se révèle à la fois éclaireur et démineur dans l'unique souci de rendre sa « vérité objective » à l'histoire.