Sur la scène d'Ibn Zeydoun, de l'Office Riadh El Feth (Oref), ce jeudi 24 novembre, Houari Benchenet a chanté sans faute. D'anciens textes reviennent avec force présence et de mémoire, il les interprète devant un public averti et connaisseur. Visiblement ravi de réécouter « Rani m'damar », « Je m'en fous », « Echira linabghiha », un vieux succès repris par le regretté Hasni, des mélodies légères mais non dénuées de poésie. Du soutenu pour des chansons que la sonorité pure et authentiquement oranaise, avec cette inclinaison suggestive propre à Houari, à la charge patrimoniale singulière. Tantôt amoureux, tantôt exilé, parfois nostalgique, d'autres fois mélancolique... Houari Benchenet passe d'un registre à un autre sans l'ombre d'un sentiment étouffé. Il clame, déclame son amour à en mourir, quitte le pays et le regrette comme jamais, crie sa fidélité à son Oran natal, dont il ne saurait se départir en la chantant sans discontinuer dans tous ses albums, avec un hommage éternel qu'il lui dédie à chacune de ses prestations sur scène. Wahran comme il l'aime à la vivre, à la conter, à la raconter avec ses avenues, ses cafés, ses tahtahat (placettes), ses quartiers populaires, Plateau, El Hamri ou Sidi El Houari, pour n'évoquer que ceux-là... El Bahia de toujours le subjugue comme jamais, le retient, l'enlace pour ne plus le lâcher même lorsque l'artiste s'en va vivre ailleurs, il ne peut le faire véritablement sans revenir dans son giron. Même s'il ressasse sans cesse la vie d'avant dans Oran l'original qui ne reviendra plus jamais. Dans la voix de l'artiste qui a mûri et s'est fortifiée, sans prendre de l'âge, il est ce jeu musical qui épouse sans effort les tournures des instruments. Acoustique, il le veut et le garde Houari. Sans aucune fioriture, l'artiste sort du lot. Garde un cachet au timbre particulier. Sa production depuis plus de trente ans atteste qu'il ne ressemble à aucun autre artiste de la chanson oranaise, versée dans le raï véritable. Non sans cette touche à son maître Blaoui El Houari dont il chante les louanges en lui rendant hommage. Benchenet chante « El Mersem », sous l'œil appréciateur de son maître, comme un élève studieux et soucieux d'un sans-faute... Houari est porté sur l'art tel que pratiqué par les anciennes gloires, les Ahmed Saber, Benzerga, Wahbi... En témoigne cette belle habitude de faire précéder son chant par des istikhbarate qui en appellent au succulent chiir el malhoun. Car il faut savoir que Benchenet a toujours tiré son inspiration des grands chouyoukh qui ont donné vie à la culture orale. Ce pourquoi il s'échine inlassablement à réunir toutes les œuvres qui ont composé l'oralité du siècle dernier, pour un assemblage en album pour la postérité. Il ne se sent bien que dans ce terroir dans lequel son enfance et sa jeunesse ont été malaxées. Y compris dans ses productions, il est ce clin d'œil aux anciens, dans les textes qui sont siens auxquels il ajuste sa propre musique. Et quelle saveur que cette introduction du violon, du qanoun, du saxophone ou encore de la flûte et même de l'accordéon avec lequel il a débuté dans le showbiz et alors que le raï faisait irruption tonitruante entre les pour et les contre dans le monde de la musique algérienne pour la bouleverser et y demeurer. Et c'est dans ces révélations que Benchenet a eu la sienne propre, porté par un public qui l'a apprécié dans sa singularité et qui ne s'est pas trompé, puisque l'artiste demeure constant dans ses choix premiers. N'est-ce pas « Wafite El Zine », ce tube rythmé à la mesure du guellal même absent de la composition des instruments utilisés dans la chanson qui n'est en fait que juste suggéré par le jeu de la derbouka... savamment orchestré par les musiciens sous la direction d'un Amine Dehane, dont la création n'a pas de limites et se renouvelle continuellement en ce concert de la salle Ibn Zeydoun de ce jeudi. Un public connaisseur et appréciateur, sans âge, est littéralement transporté. Il en redemande et refuse de lâcher l'artiste qui s'exécute sur des morceaux choisis par ceux qui battent la cadence. Près de deux heures de concert, avec un enchaînement parfois endiablé sur un air de guellal que le jeu parfait de la percussion rappelle avec dextérité, d'autre fois doucereux pour exprimer la langueur de l'amour infini... Les applaudissements généreux et ininterrompus saluent la précaution de Benchenet qui s'éclipse dans sa loge, visiblement heureux de ce détour par Alger, après celui du 21 octobre dernier sur la même scène.