Dans ces lieux, particuliers et grossistes viennent faire leurs emplettes. « Cela vous fera 34.000 DA », lance un vendeur à son client. « Nous vendons au prix de gros. Les prix sont très raisonnables même si cette année nous n'avons pas beaucoup de choix, la marchandise nous parvient difficilement », souligne le vendeur, relevant que les produits exposés sont ceux de l'année dernière. Et à son voisin d'enchaîner : « La saisie spectaculaire de produits pyrotechniques ici à Djamaâ Lihoud dans un entrepôt est à l'origine de cette situation. » Selon lui, la descente de la police fait suite à l'agression d'un supporter du MC d'Alger par un « Signal » au stade 5-Juillet et l'arrestation du fournisseur. Conséquence : les étals disposés auparavant en enfilade le long de la rue sont moins nombreux. En dépit de cette situation, la demande reste forte, notamment à l'approche de la fête du Mouloud. Des files d'attente se forment devant les étals. Ici, on vient généralement pour les nouveautés et surtout pour les pétards qui détonent fort. Fatiha est venue de Boufarik accompagnée de ses trois enfants. « Je viens chaque année pour l'ambiance particulière de ce marché. On sent le Mouloud et je suis venue pour acheter des pétards et des bougies pour les enfants, car ici, nous avons largement le choix. » Cette mère de famille confie dépenser pas moins de 5.000 DA faire plaisir à ses enfants. Son fils aîné, âgé de 10 ans, insistait pour l'achat d'une « Bombe » à 1.200 DA la boîte. A quelques mètres, deux adolescents, venus de Baraki, cartables sur le dos, négociaient les prix de la « Double Bombe ». Des « Bombes » pour aguerrir mon fils Une scène qui n'a pas échappé à une vieille dame. « La fête a perdu son charme. C'est devenu un cauchemar pour les familles à cause des accidents. A mon époque, on se contentait de petites bougies allumées dans le couloir de la maison et de petits pétards rouges pour les garçons surtout. Tout ce passait bien, sans dégâts et sans accidents », se remémore-t-elle avec nostalgie. Loin de ces préoccupations, un père de famille fouine dans les étals à la recherche de produits à sensations fortes. « Je cherche des Bombes pour mon fils. Je ne peux imaginer mon fils âgé de 9 ans avec une bougie. Il faut qu'il s'aguerrisse. Notre société est impitoyable. Je ne veux pas qu'il devienne une poule mouillée », lance-t-il à la vieille dame. Un jeune accompagné de trois enfants en bas âge sillonnait, lui aussi, les étales. « Ce sont mes neveux. Je dépense pas moins de 20.000 DA à chaque Mawlid Ennabawi Echarif. Sans les bruits et les explosions des pétards, la fête n'a aucun charme », dit-il. Dans ce marché, des quantités de pétards de différentes catégories sont exposées dans plusieurs endroits. Les vendeurs proposent aux clients des pétards de différents calibres, notamment « Chitana », « Cobra », « TNT », « Zenka », « 1401 », « Zidane », de véritables bombes à sept coups. Les fumigènes sont affichés à 1.000 DA, alors qu'ils étaient à 700 DA l'an dernier. La « Double Bombe » est entre 60 DA et 100 DA l'unité. Les « Mergueza » sont à 80 DA, les TNT vont jusqu'à 1.000 DA, les 3 feux rouges à 6.000 DA, le fumigène flottant à 2.000 DA, le fumigène à main à 2.500 DA (notamment pour les fêtes de mariage et les événements sportifs). Les fusées éclairantes sont proposées à 700 DA, alors que les pétards classiques sont cédés à 40 DA. L'offre est faible mais la demande est forte, ce qui devrait engendrer une flambée des prix, or ce n'est pas le cas. Certains ont baissé les prix pour « liquider » leur marchandise par crainte d'être saisie par les services de sécurité. La quasi-totalité des produits sont de marques chinoises et leurs prix oscillent entre 10 DA et 1.000 DA. La question qui se pose à chaque fois porte sur la provenance de ces produits notamment avec le renforcement du dispositif de lutte contre ce trafic. « Nous nous sommes que des revendeurs, les responsables sont les fournisseurs et les importateurs. On ne peut pas arrêter l'importation parce qu'il y a des intérêts, cela nous dépasse, nous sommes des zawalia (pauvres) », ont soutenu des vendeurs qu'on a rencontré. A une question sur les risques qu'ils encourent notamment avec la nouvelle loi qui prévoit même des peines de prison pour les vendeurs, ils diront : « Nous ne vendons pas des psychotropes ou des armes de guerre. » Par ailleurs, des citoyens se sont interrogés sur le rôle des services de sécurité. « En dépit des opérations policières, on continue de vendre des produits prohibés au su et au vu de tous. En dehors du Mawlid, nous assistons à des ‘‘explosions'' lors des fêtes familiales et même devant les établissements scolaires. On ne cesse de parler de saisies mais la réalité est tout autre. A quoi servent les opérations si le commerce de ces produits est toujours pratiqué ? », déplore Sid-Ali, médecin généraliste. Orientation vers les réseaux sociaux Les descentes inopinées de la police, notamment avec le renforcement du travail de renseignement, ont poussé des jeunes qui pratiquent ce commerce illicite à s'orienter vers le net, a-t-on constaté. Un jeune internaute a affiché une offre sur une page facebook pour la vente et la livraison des différents produits pyrotechniques. Afin d'attirer les clients, il a même posté des vidéos sur l'effet fort des « bombes » et des fumigènes flottants. Ces produits sont également mis en vente sur les sites d'annonces commerciales. Les services de police ont traité durant les premiers huit mois de l'année en cours, 576 affaires dans le cadre de la cybercriminalité. Durant cette période, les cyber-enquêteurs de la police ont traité six affaires liées à la vente de produits prohibés sur le net ayant conduit à l'interpellation de 15 personnes impliquées. Parmi elles, certaines ont exposé à la vente des produits pyrotechniques. Les services de sécurité sont à cheval. C'est ce qui ressort des statistiques de la police, de la Gendarmerie et des Douanes. Selon les services des douanes, le trafic a sensiblement diminué. Frontières, marchés, dépôts et routes sous haute surveillance Le commandement de la police mène depuis quelques mois une lutte implacable contre le commerce de pétards, selon la cellule de communication de la DGSN. Des descentes sont menées dans plusieurs quartiers de la capitale, appuyées par les unités spéciales de la police, à savoir la BRI (Brigade de renseignement et d'investigation). Résultat : les vendeurs de pétards « habitués » à ce commerce saisonnier ont disparu de certains quartiers populaires à quelques jours de la fête. Le plan d'action de la police a ciblé essentiellement les entrepôts, notamment à El Hamiz, à l'est de la capitale, et Djamaâ Lihoud, dans La Casbah d'Alger, et à l'est du pays .Une saisie de plus de 200.000 unités de produits pyrotechniques a été effectuée à Tébessa, en provenance de la Tunisie, acheminées par un réseau de contrebande, qui devaient être écoulées à l'occasion de la célébration du Mawlid Ennabaoui. De même pour la Gendarmerie nationale (GN), qui a axé ses actions de contrôle sur l'autoroute Est-Ouest. Des opérations ont permis de déjouer l'introduction de quantités importantes de ces produits dans la capitale et les wilayas limitrophes. La plus grande opération a été effectuée hier par la compagnie de la GN de Dar El Beida à Alger, suite à la saisie de 1.244.287 unités de produits pyrotechniques, dissimulés sous des légumes et des fruits. Un réseau composé de cinq trafiquants a été neutralisé. La vigilance des services de sécurité a permis également la mise en échec de tentatives de commercialisation de ces produits dans le Sud, notamment à Ouargla et Biskra, un nouveau phénomène dans ces régions habituées à célébrer le Mouloud dans le calme. Selon les rapports des services de sécurité, les plus grandes quantités ont été saisies à Sétif où se trouve des dépôts à El Eulma. Du côté des Douanes, la vigilance est de mise au niveau des ports et frontières terrestres. 6 millions d'unités de produits pyrotechniques ont été saisies durant le premier semestre de l'année en cours grâce à la vigilance des douanes. La quantité a été bien dissimulée dans six conteneurs en provenance de Chine, a expliqué le chef de l'inspection divisionnaire des douanes du port, Hammou Sayad. En chiffre, plus de 9 millions d'unités de produits pyrotechniques ont été saisis depuis le début de l'année à Alger, Ouargla, Relizane, Biskra, Sétif, M'sila, Oran et Tébessa.