Il faut être un gros bras pour arracher une place à la rue Ali-Amar, dite Djamaâ Lihoud. Alger, 1er arrondissement. Rue Lumumba-Patrice. Un étal de pétards peu garni occupe le coin de la rue. Nous sommes encore loin, soit à 500 mètres de la rue Ali-Amar, dite Djamaâ Lihoud. Le grand bazar à pétards, pratiquement le seul endroit où les services de sécurité laissent faire. Ce qui n'est pas le cas au niveau de la rue Lumumba-Patrice, où deux jeunes hommes, la trentaine, partent chercher de la marchandise dans un bac à ordures communal, à chaque fois qu'ils ont une importante commande de pétards. L'étal au coin de la rue sert uniquement de vitrine, et seuls quelques échantillons garnissent ce contreplaqué posé sur une caisse à limonade. En cas de descente policière, la saisie des échantillons ne causerait pas de grosses pertes. Un peu plus haut, un autre étal, un peu plus grand et beaucoup mieux garni occupe l'entrée de la cage d'escalier de l'immeuble n°3 de la même ruelle. Comble de l'anarchie, cet immeuble où l'on commercialise des produits prohibés est mitoyen à un poste de police. Les hommes en tunique bleue postés à l'entrée du commissariat semblent seulement occupés à surveiller leurs propres locaux. Un seul policier en civil a osé une réflexion mais c'était pour donner conseil à un jeune garçon. "Cache ces pétards à l'intérieur de tes habits pour que l'on ne te les vole pas, petit...", lui a-t-il lancé. Mais ce n'est que quelques mètres plus loin que le grand commerce des produits pyrotechniques commence. Exactement à hauteur du marché couvert Ahmed-Bouzrina. Cette partie est plutôt réservée aux plus jeunes, voire les commerçants les plus chétifs. Il faut être un gros bras pour arracher une place à la rue Ali-Amar, dite Djamaâ Lihoud. Cette phrase retentit un peu partout : "Il est où le poignard ?". Les vendeurs cherchent après les couteaux pour ouvrir les cartons de pétards mais font exprès de se faire entendre. C'est comme pour se lancer mutuellement des menaces. Ici, c'est une guerre permanente de territoire. Le temps que durera le commerce de produits pyrotechniques. Certains d'entre eux portent des cicatrices de blessures au couteau au visage et la plupart passe plus de temps en prison qu'en liberté. C'est le cas de Sofiane qui semble fier de raconter son histoire de grand bagnard à ses clients. "Ma mère est morte cet été pendant que j'étais en prison... voyez-vous, madame, qu'il ne me reste aucune raison de vivre en liberté. Je n'hésiterai pas à retourner en prison", raconte-t-il à une cliente qui a l'air effrayée. Elle achète sans trop négocier. Elle ne comptera d'ailleurs pas sa monnaie. Mais il faut dire que les prix des pétards ont augmenté cette année. C'est tous les vendeurs qui justifient cette hausse des prix par la saisie de 600 cartons de produits pyrotechniques par les services de sécurité dans un hangar de cette même ruelle dite "Djamaâ Lihoud". Un argument pas très convainquant aux yeux des clients. "Les étals sont très bien garnis et la marchandise est abondante, alors que nous sommes à la veille de la fête du Mawlid Ennabaoui...", réplique un client. Le commerçant trouve un argument mais qui encore une fois ne tient pas la route : "C'est parce qu'il n'y a pas eu encore beaucoup d'achats...". Le client lui fait alors la leçon, comme quoi lorsque la demande n'est pas forte, les prix baissent nécessairement. Mais le jeune commerçant veut tout de même avoir le dernier mot : "Je n'ai pas été à l'école, mais je sais que cette règle ne fonctionne pas chez nous... particulièrement ici à Djamaâ Lihoud." Ainsi, le paquet de doubles bombes de 10 unités est à 300 DA. Ce sont pratiquement les pétards les moins chers et les plus achetés. Le paquet d'une douzaine de petits fusils traditionnels est à 280 DA. Quant aux nouveaux modèles de fusils et flambeaux, ils sont accessibles à partir de 800 DA. C'est à l'exemple du "Bouq", un pétard particulièrement redoutable et dont le paquet de quatre unités coûte dans les 8 000 DA. Les moins fortunés se rabattent sur les cierges magiques vendus à 200 DA les trois paquets, ou encore les pétards traditionnels de 40 unités et qui coûtent dans les 210 DA. Au milieu de l'après-midi, la rue Ali-Amar est encore pleine comme un œuf. Les clients se piétinent involontairement. Quelques prises de bec... mais surtout beaucoup d'achats. M. M.