Aussi surprenant que cela puisse paraître, Constantine comme espace romanesque ne figure chez aucune auteure algérienne. Du moins, c'est ce que nous avons relevé, et il faut attendre le début des années 2000 pour voir enfin la publication de romans où la ville est au centre de l'imaginaire. La délivrance viendra de Najia Abeer (décédée en 2005), qui consacre ses romans à la ville des ponts suspendus. C'est, en effet, après avoir pris sa retraite que Najia Abeer publie trois romans autobiographiques : Constantine et les moineaux de la murette ; Bab El Kantara et l'Albatros. Et c'est dans son premier texte édité en 2003 aux éditions Barzakh, que la native de Souika nous plonge dans un témoignage sur sa propre vie mais aussi sur cette Constantine des années 1950, dévoilant la particularité et le charme de cette ville, ses ponts suspendus, ses ruelles, sa médina, ses traditions. Najia Abeer retrace cette nostalgie des bonheurs irremplaçables, ceux de l'enfance et donc de l‘insouciance. La narratrice, la petite fille Djoumana, décrit sa maison familiale, ses voisins, et surtout nous emmène dans une longue et agréable promenade dans les rues étroites de Soukia. Elle accompagne son père au cœur de la médina, les yeux ébahis par tant de foule, émerveillée et exaltée par tant d'agitation et de bonne humeur, des rues commerçantes, du boulanger au barbier que fréquentait son père, de la mosquée et des souks. Ces détails témoignent de l'attachement de Abeer à sa ville natale, avec des mots chargés d'une émotion évidente. Elle le montre d'ailleurs dès les premières phrases de son texte : « Comme toutes les villes dont le passé se noie dans la nuit des temps, la ville porte en son sein, dans ce rocher, des secrets jusque-là sujets à controverses interminables. Tous ses amoureux s'épuisent à se poser des questions ». La force de Constantine et les moineaux de la murette réside dans la description que fait Abeer des lieux et des traditions de la ville, tout en essayant de rester fidèle au langage approprié et utilisé à l'époque : wast eddar, skifa, doukhana, nachra, chbet, annab, Kenoun, etc. Autant de mots qui traduisent un mode de vie et des objets qu'on ne retrouve qu'à Constantine. Le texte est poignant en ces années de guerre de libération, la petite Djoumana est traumatisée par les rafles de l'armée française, la tristesse l'envahit plus loin, lorsque sa famille quitte la Souika et s'installe ailleurs dans un quartier européen de la ville. Un roman d'une vie, d'une enfance mais aussi d'une ville, laquelle Najia Abeer de ses années d'exil, a sans doute voulu savourer ses retrouvailles avec Constantine en publiant ses trois romans. Najia Abeer nous a quittés le 21 octobre 2005, laissant la littérature algérienne en deuil. Signalons enfin que l'écrivain Zahra Farah née à Constantine et qui vit aujourd'hui à Oran, a consacré son roman « L'Adieu du Rocher » édité chez Média-Plus en 2012, à une histoire du temps de la Seconde Guerre mondiale et se déroulant dans la ville des ponts suspendus.