Retournement total de situation : les troupes de Kadhafi aux portes de Benghazi font marche arrière. « Sur la défensive », ils ont perdu le verrou stratégique d'El Ajdabia dont le contrôle total est désormais entre les mains des insurgés. La marche victorieuse sur Tripoli, relancée de plus belle à la faveur de l'intervention militaire de la coalition, renoue avec les batailles épiques de Brega et de Ras Lanouf, autorisant la reprise en main de l'atout pétrolier et organisant surtout le siège du bastion de Syrte. La recette est simple et efficace : un bombardement aérien pour assurer la progression des insurgés. Si El Ajdabia en fête est la première conquête d'importance, depuis le lancement de l'offensive ce la coalition, le 19 mars, la pression s'exerce sur d'autres fronts pour empêcher la concentration des troupes de Kadhafi contraints de livrer des combats sur l'étendue du territoire libyen. Des attaques ont été ainsi menées à Zliten (160 km à l'Est de la capitale), à Al Watia (Ouest) et à Tajoura (banlieue Est de Tripoli). A Misrata, soumis au pilonnage des chars de Kadhafi, le sort reste incertain. Mais, il semble que le basculement ne profite pas au régime en déconfiture qui vit ses dernières heures. Car, selon le vice-amiral américain Bill Gortney, « Kadhafi n'a quasiment plus de défense anti-aérienne (...). Son aviation ne peut plus voler, ses navires restent au port, ses dépôts de munitions continuent d'être détruits, les tours de communication sont abattues, ses bunkers de commandement inutilisables ». Dans cette mission « claire, ciblée », selon Obama, dressant un bilan positif, la part du lion est revenue à la superpuissance qui a annoncé avoir tiré 16 Tomahawks contre des « cibles libyennes » rien que pour les 24 dernières heures. Sur les 153 sorties aériennes, les appareils américains ont effectué 67 opérations contre 86 pour les 8 pays participants à la coalition (France, Royaume-Uni, Canada, Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Qatar). C'est dire l'influence et l'hégémonie américaines imposées dans la conduite de la mission internationale. Le rôle américain reste, par delà le recul tactique, hégémonique et décisif. Instruit des enseignements de l'aventure irakienne, le choix pragmatique d'Obama qui ne veut pas s'engager dans une troisième guerre arabo-musulmane, favorise le passage du témoin à l'Otan sollicitée, dans un premier temps, de la mise en application de la no-fly zone. Aux premières lignes, le couple franco-britannique, qui se prépare pour des « semaines » de combat, a fait état d'une nouvelle initiative « pour bien montrer que la solution ne peut pas être que militaire. » Une manœuvre visant à rassurer et à surmonter les réticences de plus en plus nombreuses portant sur l'engagement de l'Otan et une intervention au sol. Pour l'ambassadeur de Russie auprès de l'Otan, Dmitri Rogozine, un tel cas de figure, généré par un enlisement des forces franco-britanniques et américaines, équivaudrait à une occupation et une violation des dispositions de la résolution du Conseil de sécurité. Dès lors, la « feuille de route » de l'Union africaine se légitime par la volonté consensuelle de trouver un issue pacifique et négociée à la crise libyenne. Elle se définit comme étant une démarche « réaliste et adéquate », inscrite dans « le respect de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale de la Libye et dans celui des aspirations légitimes du peuple libyen ». Le plan de sortie de crise à l'africaine assure une transition démocratique qui passe par l'observance d'un cessez-le-feu immédiat, la mise en place de corridors humanitaires et de mesures de protection des étrangers (notamment des migrants sub-sahariens), l'ouverture d'un dialogue interne et le lancement du processus électoral. Accepté de manière inconditionnelle par la délégation gouvernementale libyenne, présente en force à la réunion d'Addis Abeba, y compris dans le chapitre inhérent à « la mise en œuvre d'une politique qui réponde aux aspirations du peuple libyen de façon pacifique et démocratique », il n'a pas encore reçu l'aval des insurgés qui n'y ont pas fait le déplacement. La rancœur reste vivace. « La seule façon de résoudre ce conflit est que Kadhafi et ses fils soient déférés devant la justice pour crimes contre l'humanité », estime le porte-parole des insurgés, Ahmed Khalifa.