La bataille de Brega bat son plein. Ce verrou de l'Est, disposant du terminal pétrolier situé sur le Golfe de Syrte, est hautement stratégique. Il mène tout droit au centre d'Ajdabia (une centaine de kilomètres de Benghazi) dont le contrôle est décisif pour l'accès à l'Est tombé aux mains des insurgés. Pour la troisième fois, des bombardements ont ciblé la base militaire défendue âprement. L'issue du combat est déterminante. « Il est important de protéger Brega parce que s'ils occupent cet endroit, ils se dirigeront vers Ajdabia. Or, Ajdabia est un point central pour eux, car il permet de connecter l'Ouest à l'Est et au Sud », avertit un observateur. Pour Seïf El Islam, travaillant à soigner l'image de marque du régime par le biais de visites « sous haute surveillance » des délégations de journalistes dans les villes contrôlées de l'Ouest, la frappe de Brega est « destinée à effrayer ». A Sky News, le fils du guide contesté précise toutefois que la ville reste « le nœud gazier et pétrolier de la Libye. » Le statu quo militaire est suspendu à l'avenir indécis de la capitale plusieurs fois ciblée par des mouvements de protestation qui n'ont pas réussi à imposer la lame de fond indispensable pour consacrer la marche victorieuse de l'insurrection. Ce vendredi (hier), juste après la prière, le test de mobilisation s'est posé crûment. La place Verte de Tripoli a vécu des heurts à main nue entre anti et pro-Kadhafi. L'opposition qui s'est dotée d'instances transitoires de commandement et de formation embryonnaire de l'armée ne désarme pas. Elle veut en finir avec le régime. S'ils se refusent à toute médiation, notamment celle du président vénézuelien Chavez, et surtout à toute ingérence étrangère, les nouveaux maîtres de Benghazi ont fait de la bataille de Tripoli le début de la fin de la dynastie des Al Kadhafi. L'option de l'intervention militaire brandie par Washington disposant de « toute la gamme d'options » et décidant du positionnement des deux bâtiments de guerre (USS Kearsarge et USS Ponce) au large de la Libye, est unanimement rejetée par l'Otan et les pays occidentaux alliés. Car, pour le ministre des Affaires étrangères italien, Franco Frattini, seuls ceux qui ne connaissent rien au monde arabe peuvent parler légèrement d'une action militaire au cœur de cette région. Le cas irakien est suffisamment éloquent pour les faiseurs de chaos et les apôtres de la démocratisation en faillite dans ce qu'il considère comme le modèle le plus représentatif. La crise libyenne déborde et se meut en catastrophe humanitaire aux portes du Maghreb. Le long de la frontière libyenne contrôlée par les pro-Khadafi « lourdement armés », le déversement humain se fait à un rythme affolant : près de 100.000 ressortissants ont fui l'enfer libyen depuis le 20 février. Mais, le HCR (Haut commissariat des réfugiés) fait état de sa crainte que « la situation sécuritaire en Libye empêche les personnes de traverser la frontière ». Hier, ils étaient 12.500 (dont 10.000 originaires du Bengladesh) à se présenter aux frontières avec la Tunisie. « Plus de 20.000 attendent du côté libyen », avait indiqué jeudi le chef des pompiers tunisiens sur place. A « l'appel d'urgence », lancé par le HCR et l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), le pont aérien européen contribue à faciliter le rapatriement des travailleurs (majoritairement égyptiens) pour éviter les risques d'épidémies. Un porte-parole du bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU, Elisabeth Byrs, a annoncé qu'un « appel régional » pour trois mois est en voie de finalisation « pour prendre en compte les besoins liés aux évacuations et les éventuels besoins à l'intérieur de la Libye. ». Entre le chaos et le catastrophe humanitaire, le drame libyen s'incruste dans un paysage apocalyptique et de fin de règne inéluctable.