Photo : Mahdi I. L'interrogation est au cœur d'un affrontement feutré entre ceux qui demeurent rigoureusement fidèles aux enseignements religieux et ceux qui veulent faire une place à la science. Les premiers mettent en avant des versets du Coran et des Hadiths pour recourir exclusivement à la vision oculaire du croissant qui annonce la fin de chaabane et le commencement du mois de ramadhan. «Ceux qui parmi vous ont aperçu le croissant doivent jeûner», proclame un verset de la sourate ‘'La Vache''. Abou Horaira rapporte aussi cette recommandation. «Jeûnez et rompez votre jeûne à la vue du croissant. S'il est voilé par les nuages complétez le mois de ramadhan à trente jours». Dans les régions berbérophones, le mois lunaire est si confondu avec le croissant qu'ils portent le même nom (Aggour en Kabylie ou Ayour au Chenoua ou les Aurès). Mais si le croissant est observé dans un pays, les habitants d'un autre doivent-ils entamer leur obligation ? En hiver où la visibilité est réduite, si cette perturbation atmosphérique dure une semaine ou plus, comment faire ? Beaucoup de questions, de bonne foi peuvent surgir. Hormis la Libye qui s'appuyait sur son centre de télédétection et des sciences de l'espace, la plupart des communautés musulmanes sont à l'écoute des témoignages des citoyens. Des commissions de théologiens siègent en vue d'en recueillir les témoignages. En Algérie, elle est composée de quatre personnes dont un imam ibâdite. Dans un pays comme le Maroc, on fait même appel aux forces armées royales pour scruter le ciel. Le résultat est que chaque année, le début du jeûne est différent. Cheikh Abou Abdeslam relativise ces décalages. «Le monde musulman dit-il est vaste et ces pays sont situés à des latitudes différentes et l'Aïd survenant un jour avant ou après n'est nullement grave». Cela est vrai, mais comment expliquer, sans tenir compte de considérations politiques le fait que les Chiites et les Sunnites en Irak n'ont pas entamé le jeûne le même jour ? Cette aberration a eu lieu, il y a quelques années. Pour Adda Fellahi, conseiller à l'information du ministère des Affaires religieuses, «la date n'est nullement fixée d'avance et selon des ordres venus d'en haut, mais grâce à d'honorables et respectables chouyoukh qui ne sont pas rétribués». Le ministère n'écarte pas les scientifiques puisqu'au sein de la commission siège le directeur du centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique (CRAAG) dont l'institution établit un rapport scientifique au préalable sur cette nuit «dont il est tenu compte», précise M. Fellahi. Cela ne va pas sans des perturbations sur la quiétude des citoyens. Certains font fi des recommandations des structures de leur Etat pour s'aligner sur d'autres pays. Sous l'effet de considérations politiques et des télévisions satellitaires, des Algériens n'hésitent pas à se mettre à l'heure de Ryad ou de Koweït City. «Cela est réel et pose un problème de cohésion sociale et perturbe les familles», reconnaît le Cheikh Mokrane de Bouhinoun dans la périphérie de Tizi-Ouzou. Il fait observer, toutefois, que la majorité des théologiens, y compris des pays du Moyen-Orient, «recommandent aux fidèles de suivre la majorité et de ne pas semer les germes de la discorde». LES CERTITUDES DE SIRIUS Ces dernières années, des voix s'élèvent pour s'appuyer sur les calculs astronomiques qui ont atteint un tel degré de précision qu'ils peuvent prévoir à l'avance l'apparition du croissant. Certaines associations demandent à tout le moins de montrer des images du croissant à la télévision, chose rendue possible grâce aux avancées de la Science. En Algérie, l'association Sirius basée à Constantine n'hésite pas à se fonder sur elles. Si ses animateurs prennent la précaution de rappeler qu'il n'est pas de leur prérogative de fixer le début du jeûne, ils affichent leurs certitudes. Pour cette année, dans un communiqué, elle assure «qu'une observation locale du croissant sera impossible dans la nuit du 31 juillet au nord du pays tant à l'œil nu qu'au moyen d'instruments d'optique». L'éventualité sera «marginalement possible au sud et facile en Afrique australe», ajoute le communiqué. Par conséquent, le début du ramadhan est pour le 2 août. Depuis quelques années, ses prévisions se sont toujours avérées justes.