Un livre d'histoire ne serait pas un livre du passé, mais un livre qui convoque ce passé pour mieux permettre au lecteur d'éclairer le présent et d'envisager l'avenir. L'avènement du Salon international du livre est à chaque fois une occasion pour aborder la lancinante question du livre en Algérie, les enjeux qu'elle recouvre et la place qu'on lui ménage dans la stratégie nationale de développement humain. Ces dernières années, une certaine vision du livre oriente les efforts publics vers la promotion du secteur de l'édition, l'encouragement des auteurs, et le soutien à des événements qui ont vocation à servir le livre et la lecture. Il reste que les effets positifs ne peuvent être manifestes en termes d'élévation effective d'une culture du livre qu'à une échelle temporelle générationnelle. Cela d'autant qu'il n'est possible de parler de culture livresque que dans le cadre d'une politique publique globale qui embrasse, d'amont en aval, chaque recoin de la vie humaine où cette culture peut être promue, en commençant par le foyer familial et l'école, les médias, passant par les espaces publics tels que les librairies et les bibliothèques, jusque y compris la neutralisation des espaces antinomiques au livre qui ont tendance à favoriser l'ignorance et la non-lecture. Cela n'empêche pas un événement de portée nationale et internationale d'être, par excellence, l'espace où ces questions sont à la fois, d'une certaine manière et en partie, prises en charge - ne serait-ce que par la foison de créations et par l'engouement conséquent que celles-ci suscitent de la part d'un lectorat de plus en plus conquis et acquis -, mais également largement débattues. LE LIVRE, UNE DELIVRANCE ? On l'a vu et entendu, le 16e SILA affiche un slogan actualisant une réalité du livre qui fut sa réalité de tous les temps, mais qui fut, peut-être occultée un moment, neutralisée un autre moment, et souvent mal prise en charge pour être efficace. «Le livre délivre», c'est le slogan, est par ailleurs, une formule qui, en ces temps arabes mouvementés, peut bien susciter plus de questions de portée révolutionnaire que d'interrogations concernant la fonction effectivement libératrice du livre dans tous les domaines de la vie et qui questionnent, plutôt, des enjeux de portée «évolutionnaire». Mais peut-on parler de cette fonction sans risquer d'étendre le rôle du livre à celui, tout simplement, de la connaissance humaine ? Le livre n'en est-il pas le réceptacle et l'espace de manifestation le mieux concerté ? Dans la connaissance humaine, il y a le savoir universel, les sciences, les expériences humaines et d'autres faits de culture qui constituent cette somme de matières que le livre reçoit en tant qu'œuvres individuelles ou collectives. Sans hésiter, nous dirions que le livre délivre de l'ignorance, car il est l'espace d'où il est possible de puiser toutes les connaissances, mais il est nécessaire d'évacuer sa fonction utilitaire et strictement scientifique pour mieux saisir ses fonctions sociale, humaine et interculturelle comme enjeu d'intégration, d'interaction et de compréhension entre les hommes. Ainsi, en fonction de ce que nous livrent les livres se détermine ce dont ils nous délivrent. CE QUE RENFERMENT LES LIVRES En dehors de la nourriture spirituelle que nous proposons, avec soin et vigilance, à nos enfants, jusqu'à ce que, adultes, ils apprennent à réfléchir par eux-mêmes, il n'y a pas de livre qui ne soit bon à lire. Cela dit, cette acception très libertaire de la lecture et de l'accès au livre dans sa dimension universelle, ne devrait pas empêcher les pouvoirs publics d'avoir une politique de promotion du livre qui favorise certains ouvrages dont le contenu porte des idées de progrès et d'ouverture humaine à l'universel. Dès lors, et selon cette perception progressiste, un livre d'histoire ne serait pas un livre du passé, mais un livre qui convoque ce passé pour mieux permettre au lecteur d'éclairer le présent et d'envisager l'avenir. Le meilleur livre, dans ce cadre de progrès, est celui dont l'auteur, malgré son érudition ou peut-être une autorité scientifique reconnue, est capable de relativiser ses vérités, car ce n'est pas de contenu qu'il convient de se méfier, mais du niveau de prétention à la vérité de ceux qui font les livres. TRADUIRE, UNE DOUBLE PROTECTION, UNE DOUBLE URGENCE La traduction de livres est un acte offensif et défensif hautement culturel, mais également éminemment politique. Dès lors, une véritable politique de la traduction s'impose et de façon urgente en Algérie. Pourquoi traduire des livres ? Même si la réponse peut sembler évidente, elle s'avère, dans son détail, plus subtile, qui révèle des enjeux de taille. De façon sommaire, on peut dire qu'on traduit pour mettre à la disposition du lectorat des livres initialement écrits dans une langue étrangère ; un fait qui met en adéquation la volonté de promouvoir davantage la langue arabe en tant que langue du savoir, et celle de pouvoir se mettre, à travers la traduction, dans la posture de celui qui choisit et non qui subit la qualité des livres qu'il convient de rendre plus accessibles au plus grand nombre. Promouvoir le savoir tout en favorisant une politique linguistique n'est pas paradoxal, a fortiori, qu'en l'état actuel du savoir universel, il y a autant, sinon plus de livres à traduire que d'œuvres à écrire. Ceci concernant le livre, ce qui est fait et ce qui devrait être fait pour le promouvoir en tant qu'instrument culturel majeur de sursaut et de développement humains. Quant au SILA, cet éminent contexte qui célèbre le livre, il incarne parfaitement cette approche universelle qu'il faut espérer voir advenir dans chaque manifestation culturelle et à travers chaque décision. Le SILA met en effet au voisinage, dans une confrontation culturelle et intellectuelle des centaines de milliers de livres issus du monde entier, confortée par des débats où rien n'a manqué ni ne manque, sinon l'arrogance, la diatribe, l'intolérance et le dénigrement.