Pour le philosophe, ce sont l'Islam et les musulmans qui posent problème, au-delà du vote négatif. S'il y a bien un homme profondément catastrophé par le vote, par voie référendaire, d'une grande majorité des Suisses en faveur de l'interdiction des minarets, c'est bel est bien Tariq Ramadan. Dans une tribune publiée lundi sur son site web, l'intellectuel suisse musulman, philosophe et professeur d'islamologie à Oxford et dans plusieurs universités européennes, a fermement réagi contre ce résultat qu'il qualifie sans ambages de « véritable choc ». Acteur actif, résolument engagé contre la montée de l'extrême-droite suisse, sous la bannière xénophobe du parti de l'Union démocratique du centre, l'initiateur du référendum, Tariq Ramadan s'en prend avec une rare virulence à ce parti l'accusant d'avoir orchestré « une campagne bâtie sur la peur et la méfiance avec des affiches parfois proprement scandaleuses quant aux amalgames véhiculés, notamment avec des minarets dessinés sous forme de missiles, colonisant le drapeau suisse à côté d'une femme portant la burqa. Tous les stéréotypes accumulés avec le succès que l'on connaît ». Et d'expliquer que « le propos était souvent grossier, approximatif, voire xénophobe et raciste, mais la voix de ce parti (seul à soutenir cette initiative contre tous les autres partis) a été entendue et la majorité de mes concitoyens a finalement soutenu une initiative honteuse, inquiétante et gravement discriminatoire » pour conclure enfin qu'au-delà de la question des minarets, ce sont « l'islam et les musulmans qui posent problème ». Si l'UDC a été le seul initiateur et soutien du projet, la mollesse, voire la « tacite complicité », du reste de la classe politique, n'a pas échappé aux diatribes du philosophe qui s'en va porter ses griefs contre « les politiciens qui ont aussi leur part de responsabilité dans le résultat catastrophique du référendum », explique-t-il. Car si, comme il le soutient, la majorité des partis s'y sont opposés, on doit relever que leurs positionnements par rapport à la « question musulmane » ne sont pas toujours clairs. Les médias ne sont pas en reste de ce scandale qui a secoué le monde entier, et pas seulement les musulmans, puisqu'« au nom de la liberté d'expression mariée à l'audimat, ces derniers ont entretenu un climat qui passe de controverses en controverses et nourrit immanquablement un sentiment général de malaise et d'insécurité. Des débats talk-shows, l'absence d'approfondissement des questions, l'information courte, rapide, sans mise en perspective sont autant de phénomènes qui façonnent des émotions et des sensibilités populaires qui penchent vers la peur, le repli et le rejet de « l'autre ». Sans jamais se départir de sa critique lucide et instructive, Tariq Ramadan appelle les citoyens européens et suisses à prendre leurs responsabilités en s'engageant vers l'ouverture, en cherchant à mieux connaître l'autre, sa complexité, ses valeurs et ses espoirs. « C'est notre responsabilité commune et il faut y faire face (…) pour défendre les droits acquis, l'égalité des êtres humains, leur dignité et notre refus déterminé des populismes et des rejets qui nous proposent un avenir de racisme et de conflits que nous avons trop bien connus. C'est notre responsabilité à tous si, enfin, nous cessons de rester silencieux et frileux et que nous refusions de jouer aux victimes », conclut-il.