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A bâtons rompus avec Maître Farouk Ksentini : Lever l'état d'urgence, c'est mettre un frein à la lutte antiterrorriste
Publié dans Horizons le 09 - 12 - 2009

- « Ksentini souhaite terminer son mandat à la tête de la CNCPPDH » Sollicité à l'occasion du 61e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, a répondu favorablement.
Dans son cabinet, à Blida, maître Ksentini, dans cet entretien qu'il nous a livré, reste convaincu qu'en termes de droits de l'homme, en Algérie, c'est un vaste chantier qui avance doucement et mais sûrement.
L'humanité célèbre aujourd'hui le 61e anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme. Quelle en est la situation en Algérie ?
Honnêtement parce que ça ne sert à rien d'envelopper les choses, les droits de l'homme en Algérie sont dans une situation moyenne. Pourquoi ? En 1999 avec la venue de Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays, il y avait un déficit considérable en matière des droits de l'homme. 30 ans de parti unique. 10 ans de tragédie nationale. Cela ne favorisait pas la promotion des droits de l'homme. Depuis 1999 à ce jour, les choses se sont améliorées, à l'exemple de la propriété privée relevant des droits des citoyens. Elle est aujourd'hui garantie par la constitution et respectée par l'Etat, alors qu'elle ne l'était pas par le passé. Autre exemple, la révolution agraire. Des terres ont été nationalisées, et les propriétaires n'ont pas été indemnisés. Pour le cas de la liberté d'expression, on peut dire qu'il existe des restrictions par rapport aux pays avancés, mais par rapport aux pays qui nous ressemblent, la liberté d'expression existe en Algérie. Le journaliste peut écrire sans recevoir d'instructions. Moi par exemple, en tant que responsable de la commission nationale des droits de l'homme, je m'exprime en totale liberté sur tous les domaines. Il n'y a pas de sujet tabou. Les droits sociaux progressent d'une manière substantielle. Prenant le cas du logement. Pendant 20 ans, l'Algérie n'a rien construit. Actuellement, on construit en grande quantité. C'est vrai qu'on n'arrive toujours pas à satisfaire la demande parce que le déficit est très important. Mais nous avançons. L'Etat fait des efforts colossaux en matière de santé, de scolarisation, d'emploi…et notamment en termes de paix sociale rétablie grâce à la réconciliation nationale.
L'Algérie mène un combat sans merci contre le terrorisme. Des moyens financiers et humains sans précédent ont été mis en œuvre pour justement défendre les droits de l'homme. L'Etat est un vrai défenseur des droits de l'homme, contrairement à ce que lui imputent les uns et les autres. L'Etat n'est pas prédateur des doits de l'homme. Globalement, les droits de l'homme progressent concrètement en Algérie. Nous sommes dans la bonne direction. En revanche, je constate que dans le monde, il y a une régression dans ce sens. Il existe toujours des guerres en Afghanistan, en Irak, en Palestine…
Des ONG nationales activant dans le même domaine dressent un tout autre tableau. Le comble, elles le font pour des organisations internationales. Ce qui noircit l'image de l'Algérie. Quel est votre commentaire ?
Je ne peux pas les empêcher de parler. Même l'Etat ne peut rien faire. Ils veulent introduire dans l'esprit des citoyens et notamment de la communauté internationale que l'Etat algérien serait un Etat délinquant.
On l'accuse de torturer, d'abuser…ce qui est à mon avis très excessif. C'est vrai que çà et là, il y a peut-être des cas isolés, je n'en disconviens pas. Mais ce n'est pas commandité par l'Etat. Quand un policier commet une bavure à titre personnel ou un abus de pouvoir, pourquoi rendre l'Etat responsable ? L'Etat serait responsable s'il ne le sanctionne pas. Chose qu'il assume parfaitement. Ces militants des droits de l'homme, il se peut qu'ils se trompent ou qu'ils soient manipulés. Je les appelle à une meilleure appréciation de la réalité, c'est leur devoir et c'est leur intérêt. Ce n'est pas en donnant une image déformée ou caricaturale qu'on arrive à améliorer les choses. D'accord, ce sont des cartes utilisées contre le pays, mais il n'y a que la réalité qui compte. En résumé, je dirais en matière des droits de l'homme, l'Algérie est un vaste chantier qui avance. A l'insu de l'Etat, il se peut qu'il y ait des cas de torture. Mais on ne peut pas me faire admettre que l'Etat organise ou autorise la torture. Il ya des dispositions dans le code pénal qui punissent sévèrement les agents de l'Etat qui s'adonnent à des actes de torture. Moi-même j'ai plaidé plusieurs affaires à l'occasion desquelles, des agents de l'Etat ont été poursuivis pour avoir torturé.
Votre commission a-t-elle été réellement rétrogradée par l'ONU ?
Certains parlent de choses qu'ils ne connaissent pas. Je vais vous reprendre l'historique de cette affaire. La commission nationale a été créée sur recommandation spéciale de l'ONU. Elle a demandé aux Etats de créer des commissions étatiques, indépendantes des droits de l'homme. 70 commissions à l'échelle mondiale qui ressemblent à la nôtre et qui fonctionnent sur les principes dits de Paris. Ces commissions-là sont réunies dans un comité international de coordination qui est le CIC, dont le siège est à Genève. Celui-ci a décidé de nous demander de changer de statut. Il a demandé à ce que la commission soit créée par une loi au lieu d'un décret.
On ne l'a pas fait dans les délais. Ils nous ont rétrogradé. Mais, lorsque la loi a été adoptée en septembre dernier, nous avons préparé un dossier. Nous l'avons remis à ce comité et il va nous rétablir dans le rang que nous occupions avant. Cette rétrogradation n'a pas été spécifique à l'Algérie. Plusieurs pays ont connu le même sort. A l'exemple du Maroc. Alors je ne vois pas pourquoi on en fait un drame national. Le comité va statuer au mois de mars et nous allons reprendre notre place.
Que va apporter le nouveau statut de la commission ? Et souhaitez-vous rester à la sa tête ?
Il n'y a pas grand-chose de modifié. L'installation des membres de la commission dépend du président de la République. Il ne me reste plus d'un an pour terminer mon mandat. Je ne veux pas faire de cette commission ma propriété personnelle. Maintenant si on me demande de m'arrêter je m'arrêterai. Mais je souhaiterais terminer mon mandat qui arrive à son terme. La commission me coûte beaucoup plus qu'elle me rapporte.
Avez-vous remis votre rapport annuel au président de la République ?
Le rapport on le remettra au Président à la fin de l'année ou à la mi-janvier. Le rapport il faut qu'il soit le plus complet possible. Comme proposition nouvelle, je cite celle concernant les prisonniers. Dans les pays avancés, lorsque quelqu'un écope d'une peine d'un an, en fait, il ne purge que neuf mois, pas un an. Et s'il se conduit bien, on diminue également sa peine d'un mois. Au total il restera en prison huit mois. Nous voulons introduire cette règle, dans le pays, parce que nos prisons sont surpeuplées. Il ne faut pas que l'année de prison soit l'année civile, c'est-à-dire 12 mois. Il faut que ça coincide avec l'année judiciaire dont la durée est de 9 mois. Cela va soulager les détenus et les mènera à se recycler. Entres autres, nous continuons à militer aussi pour la suppression de la peine de mort. Le code de la famille a besoin d'être revigoré. En cas de divorce, il faut revoir la question du logement. C'est l'épouse divorcée qui assure la «hadhana». Actuellement la loi dit que si le mari ne peut pas mettre à la disposition de l'épouse un logement, il lui paye le loyer. Les jugements attribuent à l'épouse 6000 DA pour cela, alors qu'aucune location ne peut être payée à ce prix. C'est irréaliste. Il ne faut pas se moquer de la femme. A propos de l'état d'urgence, cette question, ne m'a jamais troublé. Parce que c'est un dispositif juridique pour lutter contre le terrorisme. Je ne vois pas les raison de sa levée, à moins d'arrêter la lutte contre le terrorisme. C'est vrai, il y a un frein quant aux libertés de réunion et de marches.
La sous-commission de l'Education a–t-elle entamé son travail ?
La sous-commission de l'Education a été gelée jusqu'à ce que les choses reviennent au calme. Je fais allusion aux grèves. Chaque fois qu'il y a conflit, on préfère nous mettre en retrait. On va revoir tous les secteurs un par un.
L'augmentation du SMIG décidée dernièrement est-elle suffisante ?
On a applaudi bien sûr cette augmentation. Il était temps. Neanmoins, elle reste insuffisante, mais mieux vaut avoir 3000 DA de plus que ne rien avoir. Cependant, le ministre du Travail a promis de réviser l'article 87-bis, et nous, on ajoutera la pression pour qu'il soit révisé le plus tôt possible et de la manière la plus conséquente possible. Il ne suffit pas de garantir une gamme variée de produits alimentaires si le citoyen ne peut pas les acheter. Il ne faut pas vivre le même phénomène que vivent les Marocains ou les Tunisiens.
On dit que le futur chantier du président de la République serait l'amnistie générale. Vous avez été le premier à avoir défendu ce principe…
C'est un sujet délicat. Je l'ais évoqué à titre personnel car j'estime que l'amnistie générale est inévitable. Cela a créé des remous qui m'ont valu le qualificatif de tâteur de terrain. Moi j'ai donné un point de vue. Maintenant il vaut mieux laisser ce sujet à l'appréciation du président de la République. C'est lui qui a initié la réconciliation nationale, c'est à lui de la terminer. Je préfère ne plus toucher à ce sujet. Mais je reste convaincu que la réconciliation nationale a besoin d'un nouveau souffle.
L'Egypte a-t-elle failli en termes de droits de l'homme vis-à-vis de l'Algérie ?
L'Egypte s'est montrée au-dessous de tout. Elle nous a injuriés et insultés. C'est lamentable. Mais en fait, il y a deux Egyptes. Celle que nous aimons, celle du colonel Djamel Abdenasser. Mais celle-ci a disparu il y a bien longtemps. On a affaire aujourd'hui à une autre Egypte. Les Egyptiens se sont montrés tellement haineux à l'égard de l'Algérie, pour un match de football. J'ai été écœuré. Alors qu'on les a toujours soutenus humainement et matériellement. J'estime que c'est à juste titre que l'Etat a choisi de se taire. On ne répond pas à des gens de ce niveau-là. Lorsqu'ils ont perdu la guerre contre les sionistes, ils n'ont pas été aussi malheureux que lorsqu'ils ont perdu le match contre l'Algérie. L'OAS n'a jamais brûlé le drapeau algérien. Il a fallu que ce soient les Egyptiens qui le fassent. C'est honteux. Un match de football, on peut le perdre, comme on peut le gagner. Maintenant, moi je ne suis pas pour la rupture des relations diplomatiques. Il faut être au-dessus. L'Algérie n'a à s'excuser ni à dédommager. Les Egyptiens finiront par regretter amèrement ce qu'ils ont dit et ce qu'ils ont fait. Il faudrait attendre deux ou trois ans. Le pouvoir actuel n'est pas éternel.


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