Dans la lignée des grands évènements qui ont fait le lit des chansonniers algériens, il y a ce petit bout de local situé à la Basse Casbah appelé café Zahra. Juste à côté, le fameux cinéma Odéon que détenait un certain M. Robert. Au son d'un luth vieillot, ou un air de musique s'échappant d'un gramophone, il y avait de quoi parler culture dans une salle embaumée de fumée. Lui, le patron de la salle s'appelait Safti, un féru de la musique orientale, distillant à longueur de journée les couplets d'Oum Kaltoum et Abdelwahab. On y venait siroter un thé et prendre la température du monde culturel qui évoluait en filigrane du combat nationaliste. Tous les jeunes mélomanes s'y retrouvaient dans le café avant d'aller savourer la toute dernière séquence de Mahmoud Abdelaziz, lui le boiteux sorti tout droit des quartiers miséreux du Caire pour défier les studios Misr et s'inviter dans la cour des grands. Après le tomber de rideau sur « le Balcon fleuri » (Chebek Habibi), on y revenait chez Safti pour compléter une fin d'après-midi dans une atmosphère très écolière. On y découvrait tous les modes de musique, avec un Bayati, ou un Mouel, on savait faire déjà la différence entre l'école cairote de Abdelawahab, et les envolées lyriques de Farid El Atrache. On était en phase avec le Café Fishawi au vieux Caire, même que les messageries Mansali avaient l'exclusivité de nous ramener de la romance au kilomètre. Dans cette infime partie de la Casbah, grouillait un monde en ébullition. Le père du nationalisme algérien Hadj Messali ne pouvait être autre qu'un mordu d'un Farid Chawki en pleine renaissance de la culture arabe. Un soir d'été, en 1948, la venue d'une délégation d'artistes égyptiens par le dramaturge et comédien Ahmed Wahbi défia la chronique dans la salle très surveillée de la rue d'Isly. Il était minuit, lorsque il demanda en pleine performance à l'audience quelle heure était-il… Après quoi il rétorqua « Il est deux heures du matin, réveillez-vous bande de fainéants ». Cette boutade vint réveiller une clameur significative avec you you et chants patriotiques. On ne saurait se départir de cette anecdote pour dire que le message était bien passé au public. Au lendemain de cette représentation fort éloquente, le comédien fut assigné comme persona non grata pour incitation aux troubles.