Je ne dirai pas : «Il était une fois», car cette histoire dure depuis la nuit des temps et elle se poursuit maintenant. C'est le vent, le premier, qui l'a racontée. Il y a fort longtemps vivait dans un pays bien ordonné une étrange fillette. Elle avait les cheveux en broussaille, drus et touffus, comme un gros bouquet sur sa tête. Elle portait ce drôle de nom : Canopée. En ce temps-là, toutes les choses étaient bien rangées dans cette contrée, et rien jamais ne venait troubler les habitants. On avait banni de ce lieu tout ce qui est tumultueux, agité ou tapageur. Le vent n'avait donc pas le droit de venir s'y promener. Alors, depuis son palais, vexé, il observait tout, à l'aide de ses jumelles en rayons de soleil. Et voici ce qu'il voyait : la fumée des cheminées ne faisait pas de tourbillons. Elle s'envolait en fines volutes rectilignes pour rejoindre les nuages. Ces nuages avaient une forme rectangulaire, ou parfois triangulaire. Les arbres, sans branches ni feuilles, montaient tout droit vers le ciel, par la voie la plus directe. On aurait dit de longues tiges munies à leur base de racines énormes qui s'étalaient sur le sol, toutes parallèles entre elles, comme un jeu de marelle. Oh ! Comme il aurait aimé souffler un bon coup là-dedans, le vent ! Mais ça n'était pas permis, car dans cette région, personne n'aimait le vent? Un jour, le tronc devint trop long et les racines trop vastes pour la petite charrette. Alors, Canopée choisit une jolie clairière au bord d'un ruisseau pour y installer son arbre. Chaque fois qu'elle en avait le temps, Canopée venait le voir pour lui parler, lui inventer des histoires et des chansons. Et puis, elle le prenait dans ses bras et du bout du nez, lui donnait des baisers sucrés. Pour mieux l'écouter, l'arbre, devenu grand, s'était mis à pencher. Oh ! A peine au début. Et puis, de plus en plus, pour se rapprocher de sa chère Canopée. Le vent, tourmenté et mécontent d'avoir été chassé, observait le paysage à travers deux rayons de soleil. Il remarqua ce jeune arbre, le seul de cet endroit à ne pas pousser tout droit. «Nom d'un tourbillon ! Il faut que je voie ça de plus près !» Aussitôt, il mit son grand manteau transparent, celui qui le rend invisible. Et puis il se dirigea vers l'arbre qui poussait de travers. Il s'approcha, discrète brise. Quand il frôla le visage de Canopée, la petite fille lui fit un sourire. Le vent, ravi, recommença un peu plus fort, puis il se mit à jouer avec les cheveux en forme de bouquet. C'était rigolo ! Et c'est ainsi que naquit la plus ébouriffée de toutes les amitiés. (à suivre...)