Cela commence par une scène de rupture dans un appartement de Milan, un soir d'avril 1973. Lui, Domenico Bolognini, trente-deux ans, est un colosse au visage buriné. C'est un sportif accompli. Avant de diriger un garage, il a pratiqué assidûment l'athlétisme et il a accompli son service militaire dans les parachutistes ; il a même songé un moment à faire carrière dans l'armée. Elle, Amanda Poggio, vingt-quatre ans, est aussi blonde qu'il est brun, d'un blond doré, lumineux, qui a quelque chose de solaire. Elle est grande, presque autant que lui, mais aussi élancée qu'il est trapu ; elle a quelque chose de fin, d'aérien. Ce sont d'ailleurs ces dispositions physiques qui lui permettent d'exercer son métier, puisqu'elle est mannequin chez un grand couturier milanais. Cela fait trois ans qu'ils sont ensemble. On prétend que, dans les couples, moins l'homme et la femme se ressemblent, plus les chances d'une union durable sont grandes, mais là, ce n'est pas le cas. C'est elle qui s'en va. Il y a déjà un moment qu'elle a pris sa décision, mais c'est maintenant qu'elle l'annonce. Il ne s'y attendait pas... Elle tourne dans la pièce, agitée, nerveuse. Il est assis sur le canapé, tassé sur lui-même comme un boxeur groggy. — C'est fini, Domenico, fini ! — Tu as quelqu'un, c'est cela ? — Oui. — Ton couturier ? — Oui, mon couturier. Il m'attend. Je suis désolée... — Et vous allez repartir ensemble ? — Écoute... — Réponds-moi et je ne te demanderai plus rien d'autre. — Oui, nous partons ensemble. — Les îles Ioniennes, comme l'autre fois ? Amanda fait encore oui de la tête et va préparer une petite valise, dans laquelle elle n'emporte que l'essentiel. Domenico la regarde faire. Les îles Ioniennes, c'est là qu'ils ont passé leurs dernières vacances d'été. Enzo Contini, le patron d'Amanda, les avait invités sur son yacht, le «Yosepine». Et c'est là qu'entre la jeune femme et lui a commencé une liaison passionnée. Domenico ne s'est aperçu de rien... Amanda Poggio a terminé son mince bagage. C'est le moment des adieux. Elle cherche ses mots. Son compagnon coupe court à ses hésitations : — Ne dis rien. Pars tout de suite Elle ne se le fait pas dire deux fois. Elle se retrouve dans l'ascenseur, puis dans la voiture d'Enzo Contini, qui l'attendait en bas. Elle s'y jette en poussant un soupir de soulagement. — Je n'aurais jamais cru que cela se passerait aussi bien. Il a été formidable ! — Il n'a pas crié ? — Pas un mot plus haut que l'autre, pas un reproche, rien ! Pourtant, il est du genre violent... La luxueuse voiture du couturier démarre, direction le sud de l'Italie où les attend le yacht, qui les emmènera pour une croisière de quinze jours. Le prologue est terminé, place à la tragédie. Quelques heures plus tard, dans le même immeuble de Milan, les voisins sont réveillés à l'aube par un vacarme épouvantable, qui provient de l'appartement de Domenico Bolognini. L'un d'eux frappe à la porte, mais on ne lui ouvre pas, tandis que le fracas s'amplifie. La police est alors prévenue. Lorsqu'elle arrive sur les lieux, grâce aux clés du concierge, il n'y a plus personne, mais on dirait qu'il s'est produit un tremblement de terre. Plus un meuble n'est debout, tous ont été fracassés. Tout ce qui était en verre ou dans un matériau fragile quelconque est en miettes. Les oreillers et les coussins ont été éventrés et des plumes jonchent le sol comme s'il avait neigé. La moquette a été lacérée et par endroits arrachée. Des couteaux sont plantés dans le mur. Toutes les bouteilles de vin et d'alcool que contenait l'appartement ont été renversées et l'odeur soulève le cœur. (à suivre...)