Excuse n «Ce n'est pas ma faute, monsieur, si je ne vous laisse pas entrer ! Les places sont toutes prises, je suis désolé ! Patientez ou cherchez un autre endroit, il y en a partout à Alger !» Arrivé aux environs de 18h 30 dans l'espoir de trouver une place avant la rupture de jeûne, un groupe de jeunes est stoppé net par une grande foule entassée devant le portail. «C'est complet !», répète sans cesse un jeune, sans doute à un serveur dans la salle, à l'adresse de ces dizaines de personnes exténuées. Parmi ces retardataires désenchantés, un homme d'une trentaine d'années, qui a visiblement craqué sous l'effet de jeûne, s'est agrippé, avec une force inouïe, aux barreaux de fer du grand portail, en disant tout bas : «Ce n'est pas juste que certains mangent et d'autres observent.» C'est toute la douleur de la condition sociale de ceux qui ne peuvent se payer un repas spécial-ramadan proposé dans des restaurants privés à 300 ou 600 DA. «Et ce n'est pas du tout fameux», témoigne Kamel qui a déboursé la moitié de son salaire en fréquentant un restaurant privé durant la première semaine de ramadan. Les habitués de cette charité ramadanesque ne sont pas seulement, comme on peut le croire, des SDF ou des malades mentaux. Ces personnes sont issues de toutes les couches sociales, excepté les nantis. Dans ces restos, on ne décline ni son identité, ni sa profession, ni son rang social. Seul l'anonymat est la règle fondamentale de ceux qui mangent à leur faim dans ces endroits. La porte de la charité est ouverte à tous. Pour ne pas prolonger leur faim au-delà de la rupture du jeûne, ces personnes se ruent quotidiennement sur les restaurants de la rahma. Le portail s'ouvre devant des personnes, exclusivement des femmes et des enfants. Ils entrent et au bout de quelques instants en ressortent avec du pain et des récipients pleins de nourriture. Le portier, qui, de temps à autre, ouvre et ferme le portail, avec un air gêné, explique : «Il s'agit de personnes qui habitent les environs et qui viennent chercher leurs repas pour le consommer chez eux. Certains ne viennent pas ici par crainte d'être vus par le voisinage. Ils ont honte». La hachma, un sentiment que beaucoup de familles algériennes pauvres arborent pour justifier leur condition sociale défavorisée. «Ce n'est pas ma faute, monsieur, si je ne te laisse pas entrer ! Les places sont toutes prises, je suis désolé ! Patientez si vous pouvez ou cherchez un autre endroit, il y en a partout à Alger !», lui répond gentiment le «gardien» depuis le portail fermé à l'aide d'une chaîne d'acier. Le jeune homme, avec un visage terrible mais silencieux, lâche violemment les barreaux et murmure quelques mots inaudibles avant de disparaître complètement au milieu de la foule compacte qui ne cesse de grossir. «Nous avons patienté plus de douze heures à jeun et ils nous demandent de patienter encore pour manger ce repas de charité», tonne quelqu'un au milieu de la foule.