Supplique Elle connaît la gravité de l?état de sa fille, mais elle prie pour qu?elle retourne jouer à la corde. Les douze générateurs Frisinus marchent à plein régime. En ce jour de février à l?hôpital Parnet d?Hussein Dey, les douze dialysés doivent passer quatre longues heures, le corps pris en tenaille par les machines Frisinus, de fabrication allemande, pour «purifier» leur sang. «Ils viennent ici trois fois par semaine, quatre heures par jour, ça fait combien déjà ?» Le professeur Tahar Rayane, responsable du service néphrologie de l?hôpital, semble débordé par l?afflux des malades, de tout âge, venus de Laghouat, Béjaïa et même de? Tamanrasset. Quatre heures, c?est aussi le laps de temps que d?autres dialysés doivent passer dans l?attente de leur tour dans une salle trop exiguë pour contenir toute cette marée humaine. Alités, presque inanimés, les douze malades ont le visage pâle, violacé, dévoré par la faiblesse, les paupières à peine entrouvertes puis des gémissements. «Ya Rabi !», se lamente une femme, la quarantaine à peine entamée, mais donnant l?air d?en avoir la soixantaine. Celle-ci, drapée dans un hijab noir, a toutes les peines du monde à contenir son malheur, un malheur beaucoup plus apparent que son front ridé. Sa fillette de six ans souffre le martyre face à ce Frisinus qui purifie le sang sans sacrifices. La petite Imane est là depuis une heure. Elle doit supporter encore la souffrance pendant trois heures. «C?est ainsi toutes les semaines, tous les mois?», se plaint la maman qui prie, malgré tout, pour que sa petite fille retourne jouer à la corde avec ses amies de première année dans la petite bourgade de Sidi Mekhlouf. «Le professeur m?a affirmé que ma fille a une grande chance avec la transplantation», a-t-elle lancé optimiste, mais non sans peur, parce que la mère sait que c?est elle qui doit passer sur le billard pour donner ce fameux rein à sa fille, comme dans un testament. Elle mesure parfaitement ce que voulait insinuer le chirurgien spécialiste en néphrologie quand il lui a dit qu?une fois dans le bloc opératoire «c?est du 50-50 ?». La jeune femme a pris la grave décision. «J?ai décidé de me faire opérer, car même si je devais mourir, je mourrai pour Imane.» A quelques mètres de là, un quinquagénaire venu de Béjaïa en est à sa quatrième heure. Dans quelques minutes, il pourra pousser un grand ouf avant de revenir, dans trois jours, supporter le même? calvaire. Comment un vieux, retraité de surcroît, a-t-il fait le déplacement de Béjaïa jusqu?à Alger pour se faire dialyser ? Le vieux, la voix à peine audible, nous informe qu?il n?a pas trouvé de place dans le centre d?hémodialyse de Sétif. «Ce n?est que lorsque le professeur a signalé la gravité de mon cas que j?ai pu arracher une place ici.»