Point de vue n Lazhari Labter, éditeur, revient dans cet entretien sur la 14e édition du Salon international du livre. Info Soir : qu'est-ce qui se vend le plus au Salon ? Lazhari Labter : en l'absence de statistiques exactes et en nous basant sur les indicateurs que nous avons, à savoir les ventes dédicaces et aussi le bilan des ventes au jour le jour, nous pouvons dire que ce qui se vend le plus c'est le roman, qu'il soit en français ou en arabe, les récits et les nouvelles. Mais peut-être que le plus grand engouement est enregistré pour l'histoire. Tous les livres d'histoire quels qu'ils soient. Et en dernière instance une forte demande sur le livre de jeunesse, le bon livre de jeunesse, et les livres de littérature enfantine. Ça c'est indéniable dans les deux langues. Vous avez parlé d'absence de statistiques. Expliquez-nous cela ? Cela fait des années que nous disons, en tant que professionnels du livre, qu'il faut distribuer des tickets à l'entrée, pas pour faire payer les gens, mais juste leur donner un ticket pour le laisser à l'entrée. Cela nous permettra simplement de connaître le nombre exact de visiteurs. Et bien, ça ne se fait pas. Dans tous les Salons du monde, on présente à l'entrée des tickets magnétiques qui sont automatiquement enregistrés. Nous, on ne demande que des tickets simples. Je suis sûr et certain que personne ne sera capable à la fin du Salon de dire combien il y a eu de visiteurs. Et pour ce qui est des statistiques par rapport aux ventes ? Elles n'existent pas. Aucun éditeur, quasiment aucun, ne tient des statistiques, et dans le cas où il les tiendrait, c'est juste pour savoir, en fin de journée, combien il a vendu. Mais il ne fera pas de statistiques sur les genres (roman, histoire…) et dans quel registre (français ou arabe). Et pourtant ça devrait exister parce que cela permettrait de savoir quelles sont les tendances générales et quels sont les centres d'intérêt des lecteurs. Les éditeurs font des statistiques uniquement pour leur permettre d'évaluer leurs recettes. Quant aux statistiques globales ? Là, c'est le point faible de l'édition algérienne : nous n'avons pas de plateforme de statistiques, c'est-à-dire nous ne connaissons pas le nombre d'éditeurs dans le pays, nous ne savons pas combien de titres nouveaux par an édite chaque éditeur algérien. Nous ne savons pas non plus dans quelle langue ou dans quel genre se fait l'édition. Nous ne savons pas également qui est spécialisé dans tel domaine et dans tel autre. Tout comme pour le lectorat : nous ne savons pas si les femmes lisent plus que les hommes, et inversement. En français, en arabe ou en tamazight. Dans quelle région…Logiquement, dans un pays comme l'Algérie, qui a des institutions capables de faire des sondages, il suffit juste de mener une vaste enquête sur les statistiques par rapport à l'édition et au lectorat. Vous êtes éditeur. Que peut-on dire de vous ? Je suis l'éditeur des coups de cœur, c'est-à-dire que je publie des choses que j'aime, je reconnais que c'est très égoïste. Je publie des choses qui me parlent, qui me font rêver, qui m'enchantent, qui m'interpellent et qui font de la musique dans ma tête… Il y a un peu de tout en fait, mais rien n'est dû au hasard. Chaque titre est sélectionné. J'ai décidé de publier de la littérature, en particulier du roman, et des essais politiques aussi. Je fais également de la littérature de jeunesse et de la bande dessinée. l Interrogé sur les risques que peut porter un coup de cœur dans la profession, Lazhari Labter dira : «Un coup de cœur est un risque financier», et de préciser : «Chaque livre qu'on publie, c'est un risque qu'on prend, sauf si on parie sur un auteur déjà connu. Mais je parie sur un jeune auteur qui n'a jamais publié.» Quel est l'intérêt d'être éditeur, avec tous ces risques encourus, alors ? Lazhari Labter : l'intérêt, c'est d'aller de l'avant. Si un éditeur parie uniquement sur les choses qui marchent, il devient commerçant. Et de souligner : «Un éditeur par définition est défricheur, un découvreur de talent, un preneur de risques et quelqu'un qui ouvre des perspectives. Un éditeur n'est pas un tiroir caisse, mais un professionnel du livre.» «Pour moi, poursuit notre interlocuteur, j'avoue, au vu de mon expérience, que c'est devenu assez lourd». Et d'expliquer : «Parce que faire de l'édition dans ce pays, c'est très compliqué : d'abord, c'est trop cher. Ensuite la distribution et la diffusion ne suivent pas. La remontée de l'information ne se fait pas tout comme la remontée financière, parce que les libraires ne payent à temps que les livres qu'ils ont vendus. Et l'éditeur se retrouve très vite endetté auprès de l'imprimeur. Et là on rentre dans un cercle assez compliqué. Donc, pour l'année prochaine, j'ai décidé d'aller vers la spécialisation. Je deviendrai un éditeur spécialisé dans deux choses : la littérature jeunesse et pour enfants et la bande dessinée. Et je vais probablement mettre de côté tout le reste.»