C?est une littérature unique parce qu?elle est propre à une époque, mais elle est aussi la littérature de l?éphémère. Qu?entend-on par littérature de l?urgence ? La littérature de l?urgence n?est, en fait, que le prolongement de l?ensemble de la littérature algérienne de langue française, même s?il y a rupture, de préférence «bifurcation», un terme approprié à définir sans ambiguïté cette nouvelle littérature née dans la peur et la suspicion, dans l?horreur et le sang, la tourmente et la détresse. «Bifurcation» parce qu?elle a changé de cap, alors qu?elle suivait jusque là un tracé droit et précis, elle a changé de direction au gré de la tragédie qui s?est violemment acharnée sur l?Algérie. D?abord, comme toutes celles qui l?ont précédée, cette nouvelle littérature, toujours écrite dans la langue de l?autre, est spécifique, car elle a pris naissance dans un contexte déterminé dans le temps, et qu?en dehors de cette conjoncture sociale et historique, il se trouve qu?elle n?est plus opérationnelle. Aujourd?hui, écrire en ces termes, se mouvoir, articuler un texte autour d?une même thématique, puiser dans un même imaginaire s?avèrent, d?emblée, un acte prosaïque et désuet. C?est une littérature unique parce qu?elle est propre à une époque, seulement, c?est une littérature de l?éphémère, de l?immédiat. Sa spécificité apparaît dans l?urgence de témoigner uniquement, ne se souciant point ni du style ni de la syntaxe, ce qui fait qu?elle est légère, fragile, voire inconsistante. La littérature de l?urgence a ainsi développé une écriture peu élaborée, à la syntaxe minimaliste, au style ordinaire, placide et parfois même froid et creux. Les écrivains pris dans cette frénésie d?écriture n?envisagent même pas de réserver à leurs écrits une part d?esthétique. C?est une littérature, certes, mais sans envergure. Cette «graphie de l?horreur» comme la désigne Rachid Mokhtari, critique et journaliste, s?inscrit non pas dans la manière de dire le réel, mais plutôt dans le dire de celui-ci d?une manière si naïve que l?écrivain oublie de mener une réflexion ? et un travail ? sur l?écriture elle-même. C?est une littérature de témoignage, un compte rendu d?une réalité, mais ce témoignage ne peut être, lui, et en aucun cas, la littérature, puisque l?un comme l?autre sont deux registres différents : la littérature est le résultat d?un travail intellectuel, l?aboutissement d?un jeu de création, un acte poétique. Or le témoignage est une reprise innocente, une reproduction littérale du réel. Il y a encore aujourd?hui de jeunes écrivains qui, bien que la décennie noire soit dépassée, qu?elle se conjugue au passé, continuent d?écrire pour témoigner d?un réel qui n?existe plus, ou du moins qui existe uniquement dans leurs souvenirs. Appartenant à un présent s?organisant selon des modes d?énonciation et d?expression spécifiques, ces «graphistes du sang et de l?horreur» semblent vivre encore ? et toujours ? dans le passé, un passé qui imprègne leur conscience et alimente encore leur écriture. Dire sur le terrorisme s?avère immanquablement un acte anachronique, car, aujourd?hui, la société algérienne recèle d?innombrables thèmes importants de par leur contenu et susceptibles d?être exploités, développés pour faire en conséquence l?objet d?un réel travail littéraire et d?une recherche esthétique. Notre société est un réservoir d?authenticités et d?histoires à raconter, à faire connaître. Le paysage social a changé, la société algérienne change, évolue, elle est en pleine ébullition, en mutation constante. L?Algérien n?agit plus de la même manière que celui de la dernière décennie, il est donc inévitable que le champ thématique et l?univers littéraire changent, se renouvellent. Les romans parus jusqu?à maintenant traitent une fois encore ? et d?une manière répétitive et rébarbative ? du terrorisme, une écriture qui, à la longue, a fini par lasser le lecteur et par devenir insipide, tombant ainsi d?emblée dans l?obsolète. L?écriture littéraire s?est vidée de sa substance, devenant un simple agencement correct de mots.