Bob Shipman sifflote en se rendant dans un club de musculation d'un quartier central de Londres, ce jour de septembre 2000. C'est fait, il a pris une grande décision ! Terminés les week-ends devant la télé ou au cinéma, lesquels lui ont fait accumuler toute cette graisse, tous ces kilos superflus. Quoi d'étonnant si, à près de trente ans, il est toujours célibataire ? Quelle fille raisonnable voudrait de lui dans cet état ? Bien sûr, il n'est pas très séduisant et son métier de petit employé de banque n'est pas non plus un atout pour les conquêtes, mais une fois qu'il sera svelte et musclé, tout changera :il en est sûr ! Bob Shipman est arrivé devant le club, dont la vitrine s'orne de photos d'apollons et de vénus souriant dans leur maillot de bain. Cette vision le conforte dans son optimisme. L'aventure l'attend ! Bob Shipman ne se trompe pas : c'est bien l'aventure qui est au rendez-vous, derrière la porte du club de musculation. La grande, la très grande aventure ! Bob Shipman sue sang et eau. C'est une louable intention de perdre des kilos, mais il constate que cela ne se fait pas tout seul et qu'il n'a plus, depuis longtemps, l'habitude de l'exercice physique. Au bout de quelques heures, il est exténué. Il sort du club quasiment mort d'inanition et se traîne dans le pub juste en face. Il va peut-être regagner quelques grammes mais avec ce qu'il a perdu le bilan sera largement positif... C'est alors qu'il constate qu'il n'est pas le seul dans ce cas. Un client du club est sorti en même temps et a pris lui aussi la direction du pub. Comme ils manquent de se cogner en franchissant la porte, ils éclatent tous les deux de rire. — Vous non plus vous n'en pouvez plus ? — A qui le dites-vous ! Je suis mort de faim et de soif ! L'homme doit avoir la quarantaine. Il est grand, distingué, avec une barbe tirant sur le gris. Il affiche un sourire jovial et lui tend la main. — Moi, c'est Peter. Et vous ? — Bob. On se met à la même table, Peter ? — Et comment ! Tous deux commandent des sandwichs et des bières et la conversation s'engage. L'interlocuteur de Bob parle avec un fort accent américain, se dit lui aussi dans la banque, ce qui lui occasionne de fréquents déplacements en Angleterre. Bob comprend que s'il est dans la même branche que lui, ce n'est pas tout à fait au même niveau. Les pintes succèdent aux pintes... Les deux hommes en viennent aux confidences,ou du moins c'est Peter qui parle car la vie de Bob est si plate qu'il n'aurait pas grand-chose à raconter. Son compagnon de rencontre décrit longuement ses diverses conquêtes des deux côtés de l'Atlantique lorsque, soudain, il s'arrête et baisse le ton. — Mais je ne t'ai pas dit le plus beau : j'ai fait de la prison. Et pas qu'un peu ! Du coup, Bob Shipman est tout émoustillé. — Une histoire de femme ? — Qu'est-ce que tu crois ? C'est une histoire d'homme ! — Et qu'est-ce que tu as fait ? Peter finit d'un coup sa chope, la repose sur la table, s'essuie les lèvres d'un revers de la main et déclare laconiquement : — Meurtre... Bob Shipman a beaucoup bu, mais il n'a pas entièrement perdu son jugement. La situation lui semble tout à coup extrêmement troublante. Il ne sait pas pourquoi, mais il a la certitude que, loin de tenir des propos d'ivrogne, ce Peter lui dit la vérité... Ce regard qu'il lui jette, ses mains volumineuses à plat sur la table... Oui, c'est un assassin, cela ne fait pas de doute ! Son interlocuteur a dû s'apercevoir de sa frayeur car il lui déclare avec un sourire qu'il veut rassurant mais que Bob trouve parfaitement inquiétant : — T'en fais pas ! Tout ça, ce sont des vieilles histoires. Pour moi, c'est fini depuis longtemps. (à suivre...)