Les Algériens, longuement sevrés, étaient pris d?une frénésie de consommation, comme d?une boulimie de compensation. Ils faisaient carrément leur marché à Oujda : boissons gazeuses, jeans, baskets, friperie, électroménager, cosmétique, lingerie féminine, fruits secs, fruits exotiques, etc. Les négociants marocains étaient aux anges. Les couches les plus défavorisées n?étaient pas en reste et prélevaient largement leur part de cette manne inespérée. C?était un plaisir de voir nos voisins marocains baigner dans l?abondance et la joie de vivre. Aujourd?hui encore, l?on parle dans ce pays avec beaucoup de nostalgie, de ces temps bénis. De cet Eldorado perdu. C?est ainsi que sous une véritable pression populaire de tout le Maroc oriental et même de certaines sociétés multinationales qui s?étaient structurées en fonction de la demande potentielle algérienne, les autorités marocaines entreprennent-elles, depuis des années maintenant, un forcing afin d?obtenir la réouverture des frontières terrestres. Même les Américains et les Français ont été mis à contribution pour convaincre le voisin algérien. En fait, la réouverture est incontournable. Il est réellement aberrant, en ces temps de mondialisation et de construction des grands ensembles régionaux, que des voisins aussi proches continuent à se tourner le dos. Le président Bouteflika a dit, à juste titre, que «ni l?Algérie ni le Maroc ne pourraient déménager ailleurs». Cependant, nos voisins marocains, dont l?esprit d?entreprise se le dispute à la sympathie qu?ils nous témoignent, devraient refréner quelque peu leurs espérances pour ce qui est de l?apport du tourisme algérien. S?il est vrai qu?il peuvent espérer une relative grande affluence algérienne dans leur pays, comme celle des touristes algériens en Tunisie et peut-être même plus, il est nécessaire qu?ils sachent que la manne sera loin d?être celle d?avant 1994. Le contexte socio-économique a profondément changé en Algérie. Aujourd?hui, tous les produits de consommation pour lesquels se déplaçaient nos compatriotes inondent littéralement le marché algérien et souvent dans un meilleur rapport qualité-prix. Tout est maintenant disponible en Algérie, souvent bien plus qu?au Maroc. Ce qui nous manque c?est toute cette masse monétaire du temps de la planche à billets et de la convertibilité décrétée. Ce que doivent savoir également nos voisins, c?est que le pouvoir d?achat de l?Algérien moyen a considérablement chuté et que très nombreux sont ceux qui ne pourraient pas se rendre dans leur pays, malgré toute l?attirance qu?il exerce sur eux. L?autre indice à prendre en compte est qu?il n?y a plus de produits soutenus par l?État. Ou si peu. L?huile, le café, la semoule et autres produits dits de base qui se déversaient par centaines de milliers de tonnes à des prix incroyablement bas chez tous nos voisins, sont maintenant aussi cher qu?au Maroc, sinon plus. L?avion des chimères s?est crashé pour l?Algérie... pour ses convives aussi. La réouverture des frontières ne sera donc pas cette panacée pour une relance de l?économie marocaine, ou si peu. Mais nul doute ne subsiste chez la quasi-totalité des Algériens que la réouverture des frontières sera la bienvenue et qu?ils seront nombreux à se rendre dans ce beau pays, dont la réputation d?hospitalité et d?authenticité n?est plus à prouver. Mais les Algériens n?y achèteront plus tous ces articles de bazar dont ils étaient si friands et dont ils sont maintenant gavés dans leur propre pays. Ils iront y faire du tourisme, sans plus. Le commerce du Maroc oriental ne devra pas espérer retrouver cette demande algérienne qu?il a connue. Les récents attentats-suicide à Casablanca semblent avoir quelque peu refroidi notre voisin, tellement frileux lorsqu?il est question de sa sécurité intérieure. Et il a bien raison. Mais ces crimes contre le peuple marocain montrent bien combien les destins de nos deux pays, tout autant que celui de la Tunisie, sont intimement liés, tout comme le fut leur passé. C?est donc côte à côte qu?ils devront affronter l?adversité.