Ces trois dernières années elles ont pris une tout autre forme. L?Algérie a vécu dans les années 1980 une série d?émeutes (Alger en 1984, Constantine et Sétif en 1986, octobre 1988) qui, même si elles ont été parfois violentes, n?ont pas duré. De même, elles étaient, pour la plupart, circonscrites dans telle ou telle région. L?abus d?autorité des agents de l?Etat et les graves pénuries d?eau et de produits de première nécessité en ont été les principales causes. De ce fait, beaucoup les considèrent comme de «simples et brèves explosions de colère». Ce qui est loin d?être le cas des émeutes auxquelles on assiste depuis avril 2001. En effet, la contestation de la population a pris une tout autre forme ces trois dernières années. Elle s?est généralisée, est devenue régulière et surtout très violente. Que ce soit à Aïn M?lila, à Annaba, à Khenchela ou à Tizi Ouzou, les manifestations de colère ont été très musclées, causant des morts et des blessés. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l?ordre sont monnaie courante. Pour dénoncer le chômage, la crise de logement, la pénurie d?eau entre autres, les gens n?hésitent plus à sortir dans la rue et à s?en prendre à tout ce qui symbolise l?Etat : sièges d?APC et de daïra, bureaux des impôts, brigades de gendarmerie? La question que tout un chacun se pose est de savoir pourquoi ces émeutes ont été si violentes. Dans une contribution publiée par un confrère, Daho Djerbal, enseignant à l?université d?Alger et chercheur en histoire, explique que «le langage de l?émeute est devenu l?ultime recours d?une jeunesse désemparée. Les représentants des jeunes insurgés, comme ceux de l?Etat, n?ont pas trouvé le terrain ? ni de personnes ? qui puisse servir d?intermédiaire pour une négociation (?) Mais voilà qu?arrive une génération qui n?a plus de place, ni dans le secteur de la production ni dans celui de l?échange. Cette génération pose alors le problème, son problème, à l?ensemble de la société et au pouvoir politique. Elle veut être intégrée. Elle demande justice et réclame le respect de sa dignité en tant que génération (?) Elle est une génération hors système (?). Il n?existe pas de canaux par lesquels elle peut s?exprimer, hormis l?émeute». Une chose est sûre en tout cas : la force sociale, qui a nourri la protestation, est la jeunesse. Une jeunesse qui, après avoir longtemps attendu d?être prise en charge par les pouvoirs, a fini par perdre espoir. Aussi a-t-elle réagi violemment. S?il est vrai que les jeunes se sont impliqués directement dans les contestations des années 1980, il n?en demeure pas moins qu?ils ont été bien épaulés par d?autres segments de la société. Sur un autre plan, les problèmes auxquels étaient confrontés les jeunes des années 1980 sont de loin moins ardus que ceux que la jeunesse d?aujourd?hui affronte. Si des jeunes d?Illizi et d?autres localités du sud du pays sont allés jusqu?à brûler des édifices publics ? ce qui était impensable par le passé ? c?est qu?il y a vraiment problème. En 2003, l?émeute continue à servir de moyen de communication à bien des personnes qui refusent la fatalité. - Les habitants des localités de Djelfa ont exprimé récemment leur exaspération après la publication de la liste des bénéficiaires des logements sociaux alors que la grogne des jeunes est montée d?un cran pour protester contre la cherté de la vie. C?est dans ce contexte que s?inscrit la visite du président de la République dans cette wilaya, tout en souhaitant apporter un peu de réconfort à cette population. Ce schéma est d?ailleurs typique des réponses apportées par le gouvernement à la longue liste des explosions de colère populaire qui tourne parfois à l?émeute.