1944. Les troupes alliées ont enfin débarqué sur la côte normande. Les Allemands résistent pied à pied par endroits. Dans d'autres secteurs ils refluent lamentablement vers leur pays déjà dévasté par les bombardements. Est-ce une juste punition du ciel ? On ne se pose pas la question ! Ce qui importe c'est qu'ils nous «débarrassent le plancher», et le plus vite possible. Mais pour arriver à ce résultat après quatre longues années d'occupation, beaucoup de braves garçons auront donné leur vie : Américains, Anglais, Canadiens, Polonais et Français. Parmi eux, le capitaine de La Horie, brillant cavalier issu de Saint-Cyr, mort pour la France en novembre 1944. Une rafale de mitrailleuse allemande lui ôte la vie : il tombe en arrière sur le siège de la jeep où il se trouvait. Cette jeep, comme tous les véhicules de la Division Leclerc, porte un nom. Certains de ces noms sont argotiques, d'autres font allusion à des amours plus ou moins légitimes. De La Horie a donné à son véhicule le nom d'Iris XVI. Sans doute, depuis le débarquement, quelques jolies filles avides de liberté, de chocolat, de bas nylon et d'amour ont-elles demandé : — Ça veut dire quoi Iris XVI ? C'est une fleur ? C'est un parfum ? C'est Armand de Vasselot de Régné, un ancien de l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, qui nous donne la réponse, étonnante et tragique. A l'époque, juste avant la dernière guerre, l'École militaire de Saint-Cyr est encore installée aux environs de Versailles, sur les lieux mêmes où Mme de Maintenon, épouse secrète et morganatique de Louis XIV, avait créé une école : la «Maison royale de Saint-Louis» destinée à former de bonnes et nobles épouses pour les officiers du Roi-Soleil. Depuis la Révolution, les jeunes filles ont déménagé et sont parties jouer Esther et Athalie dans d'autres lieux. L'Empire les remplace par des fils de militaires se destinant à l'état de leurs pères. En 1936, les fringants officiers, qui se savent l'orgueil de la nation, viennent ici apprendre les rudiments de ce qui était indispensable pour gagner... la guerre de 14-18 ! Tandis que l'Allemagne nazie prépare une invasion motorisée et colossale de la France, nos jeunes officiers apprennent la discipline et essentiellement l'art et la manière de monter superbement à cheval. Sans oublier l'arrogance inhérente à un corps d'élite parfaitement snob et fier de ses particules, de ses quartiers de noblesse et des plumes de casoar qui ornent les shakos de tous ces jeunes gens. Ils sont prêts à mourir pour la patrie. Cependant, ils n'envisagent de le faire qu'avec panache. En 1936, l'escadron de l'Ecole spéciale est commandé par un certain capitaine Philippe Marie de Hauteclocque, âgé de 34 ans et lui-même issu de Saint-Cyr. Cet officier originaire de la Somme est un peu «jugulaire, jugulaire», comme on dit, c'est-à-dire «à cheval sur le règlement». Autrement dit, ce n'est pas le genre «copain». Il le faut sans doute avec les trente futurs sous-lieutenants qui ont tendance à se considérer comme la crème de la cavalerie française. Comme on est dans un lieu de tradition très «vieille France», les jeunes gens, tout en attendant leur heure de gloire, se contentent de saluer leurs instructeurs d'un «Monsieur» très louis-quatorzien. Les fantassins grincent des dents de jalousie. — Messieurs, aujourd'hui vous allez commencer le dressage des cinq ans. Les élèves ont des sourires qui affichent une satisfaction un peu prétentieuse. Les «cinq ans» vont voir à qui ils ont affaire. Les «cinq ans» sont des chevaux qui ont encore beaucoup de choses à apprendre, de gré ou de force, pour avoir l'honneur éventuel de galoper vers les lignes d'un ennemi qu'on imagine fatalement allemand. Dame, après 1870 et 14-18, les Germains ont bien démontré leur capacité à être notre «ennemi naturel»... A suivre Pierre Bellemare