Résumé de la 1re partie n L'homme qui n'a pas de chance va voir un ermite qui lui conseille d'aller voir Dieu, car lui seul peut lui en donner. En chemin, il fait différentes rencontres... La femme renifla, s'essuya les yeux. — Dieu seul sait pourquoi je suis si chagrine, répondit-elle. — Si Dieu le sait, lui dit l'homme, n'ayez crainte : je l'interrogerai. Dormez bien, belle femme ! Elle haussa les épaules. Depuis un an la peine qu'elle avait la tenait éveillée tout au long de ses nuits. Le lendemain, le voyageur parvint à la grotte de Dieu. Elle était ronde et déserte. Au milieu du plafond était un trou où tombait la lumière du ciel. L'homme s'en vint dessous. Alors il entendit : — Mon fils, que me veux-tu ? — Seigneur, je veux ma chance. — Pose-moi trois questions, mon fils, et tu l'auras. Elle t'attend déjà au pays d'où tu viens. — Merci, Seigneur. Au pied du mont est une femme triste. Elle pleure. Pourquoi ? — Elle est belle, elle est jeune : il lui faut un époux. — Seigneur, sur mon chemin j'ai rencontré un arbre bien malade. De quoi souffre-t-il donc ? — Un coffre d'or empêche ses racines d'aller chercher profond le terreau qu'il lui faut pour vivre. — Seigneur, dans la forêt est un tigre bizarre. Il n'a plus d'appétit. — Qu'il dévore l'homme le plus sot du monde, et la santé lui reviendra. — Seigneur, bien le bonjour ! L'homme redescendit, content, vers la vallée. Il vit la femme en larmes devant sa porte. Il lui fit un grand signe. — Belle femme, dit-il, il te faut un mari ! Elle lui répondit : — Entre donc, voyageur. Ta figure me plaît. Soyons heureux ensemble — Eh bien ! je n'ai pas le temps, j'ai rendez-vous avec ma chance, elle m'attend, elle m'attend ! Il la salua d'un grand coup de chapeau tournoyant dans le ciel et s'en alla en riant et gambadant. Il arriva bientôt en vue de l'arbre maigre sur la plaine. Il lui cria de loin : — Un coffre rempli d'or fait souffrir tes racines. C'est Dieu qui me l'a dit ! L'arbre lui répondit : — Homme, déterre-le. Tu seras riche et moi je serai délivré ! — Eh bien ! je n'ai pas le temps, j'ai rendez-vous avec ma Chance... Elle m'attend, elle m'attend ! Il assura son sac à son épaule, entra dans la forêt avant la nuit tombée. Le tigre l'attendait au milieu du chemin. — Bonne bête, voici : tu dois manger un homme. Pas n'importe lequel, le plus sot qui soit au monde. Le tigre demanda : — Comment le reconnaître ? — Je l'ignore, dit l'autre. Je ne peux faire mieux que de te répéter les paroles de Dieu, comme je l'ai fait pour la femme et pour l'arbre. — La femme ? — Oui, la femme. Elle pleurait sans cesse. Elle était jeune et fort belle. Il lui fallait un homme. Elle voulait de moi. Je n'avais pas le temps. — Et l'arbre ? dit le tigre. — Un trésor l'empêchait de vivre. Il voulait que je l'en délivre mais je t'ai déjà dit : je n'avais pas le temps. Je ne l'ai toujours pas. Adieu, je suis pressé. — Où vas-tu donc ? — Je retourne chez moi. J'ai rendez-vous avec ma chance. Elle m'attend, elle m'attend ! — Un instant, dit le tigre. Qu'est-ce qu'un voyageur qui court après sa chance et laisse au bord de son chemin une femme avenante et un trésor enfoui ? — Facile, bonne bête, répondit l'autre. C'est un sot ! A bien y réfléchir, je ne vois pas comment on pourrait être un sot plus sot que ce sot-là. Ce fut son dernier mot... Le tigre dîna enfin de fort bon appétit et rendit grâce à Dieu pour ses faveurs gratuites. Henri Gougaud