«Trois personnes ont fait taire le Maracana : le pape, Frank Sinatra et moi», s'amuse l'Uruguayen Alcides Ghiggia, auteur du deuxième but qui a offert la Coupe du monde 1950 à la Celeste face au Brésil dans le mythique stade de Rio. Ce petit homme, âgé de 83 ans, est le seul survivant des 11 auteurs du plus grand exploit sportif de ce petit pays de 3,4 millions d'habitants, déjà champion du monde en 1930. Même s'il préfère ne pas trop en parler – «par respect pour mes camarades qui ne sont plus là» - il se souvient parfaitement de ce match disputé le 16 juillet 1950 devant 174.000 spectateurs (certains parlent de 200.000) venus en pensant assister au premier titre mondial du Brésil. La Seleçao n'avait besoin que d'un nul pour être sacrée et la presse locale titrait déjà «le Brésil champion». Même les dirigeants uruguayens partaient battus avant ce dernier match du tour final. «La veille, trois ou quatre dirigeants ont parlé aux joueurs les plus expérimentés et leur ont dit que nous avions déjà atteint notre objectif, qu'il fallait essayer de sortir la tête haute, en n'encaissant pas plus de quatre buts», se souvient-il. En guise de motivation, «le capitaine Obdulio Varela nous a raconté cette histoire quand nous sommes entrés dans le tunnel d'accès au terrain», ajoute-t-il. Le public a d'abord vibré avec l'ouverture du score de Friaca pour le Brésil (47'), puis a tremblé après l'égalisation de Schiaffino (66'). Puis est resté sans voix lorsque Ghiggia a doublé la mise pour la Celeste (79'). «Ce but ressemble un peu au premier. Le gardien m'a ouvert un petit espace en pensant que j'allais centrer, j'ai eu de la chance avec le poteau et j'ai marqué. Ils ont tenu le gardien brésilien pour unique responsable de la défaite», raconte l'ailier de poche. «Au Brésil, la peine maximum est de 30 ans. Moi, voilà 43 ans que je paye pour un crime que je n'ai pas commis», déclara le pauvre Moacyr Barbosa avant de mourir dans l'oubli en 2000. Ghiggia se souvient aussi de l'ambiance surréaliste à la fin du match. «Ce fut un bonheur énorme, mais en voyant les gens pleurer dans les tribunes, cela te remplissait aussi de tristesse», témoigne-t-il. Ce succès lui a permis de signer à la Roma puis à l'AC Milan et il a même porté le maillot italien à une époque où un joueur pouvait changer de sélection. De retour au pays, il a joué jusqu'à 42 ans. Il a ensuite travaillé dans un casino, puis monté son école de conduite avant de profiter de sa pension spéciale de champion du monde. Soixante ans après son exploit, jeunes et moins jeunes s'arrachent toujours ses autographes. La Fédération internationale (Fifa) l'a encore invité au Mondial en Afrique du Sud. «Je crois que je vais recevoir un hommage lors de la cérémonie d'ouverture. Je ne sais rien de plus», dit-il. Les Brésiliens non plus ne l'ont pas oublié. L'un d'eux, coincé avec lui lors d'une visite au musée du football de Montevideo, s'est écrié en riant : «Ne nous laissez pas enfermés avec le bourreau des Brésiliens !»