Cela s'appelle Les dossiers X / Ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l'affaire Dutroux. C'est cosigné par deux journalistes du quotidien flamand De Morgen et une journaliste du Journal du Mardi (Annemie Bulté, Douglas De Coninck et Marie-Jeanne Heeswyck). Et c'est une extraordinaire enquête d'investigation. Ils tracent ainsi un saisissant portrait de la mouvance criminelle autour de Nihoul et Dutroux. Le résultat est terrifiant ? tant par l'empilement et la gravité des crimes évoqués que par l'acharnement mis par certains responsables policiers et judiciaires à ignorer certaines pistes, décrédibiliser certains témoins, protéger certains inculpés et écarter certains enquêteurs. On connaît pourtant aujourd'hui la thèse médiatiquement majoritaire : Dutroux l'isolé agrandit sa famille, Regina Louf déraille, Nihoul est une erreur judiciaire en fauteuil roulant et les réseaux pédocriminels sont une invention de croyants émotifs paranoïaques obsédés par la théorie du «grand complot». On vient encore d'en démanteler un, impliquant un gendarme ? C'est bien la preuve que les juges font leur travail. Faites confiance à la justice de votre pays, et parlons d'autre chose. Il n'y a pas un match de foot ou un prince qui se marie, ces jours-ci ? Tout au long du livre, le lecteur se posera donc cette lancinante question sous-jacente : pourquoi ces crimes impunis ? Pourquoi ces cul-de-sac dans les enquêtes ? Les auteurs n'y répondent pas clairement. Mais ils nous donnent plusieurs clés pour construire nos propres réponses. Un curieux compromis entre le poids vertical des corporatismes, l'influence horizontale du crime organisé et l'effet anesthésiant d'un inavouable secret d'Etat. Ce «secret d'Etat» est d'ailleurs devenu, dans tous les milieux s'intéressant à l'enquête, un vrai secret de Polichinelle. Mais il reste un tabou incontournable pour tous les appareils d'Etat et la plupart des grands médias du pays. De quoi s'agit-il ? De l'éventuelle implication de la Maison Royale dans d'anciennes affaires pédocriminelles remontant aux années 60 et rapportées à Neufchâteau par un témoin X. Les enquêteurs semblent avoir reçu ce témoignage comme une patate brûlante : en la faisant sauter d'une main à l'autre sans savoir qu'en faire. Curieuses formulations du genre : «Les dossiers X» se heurtent à une véritable omerta de la part de tous les grands médias du pays. Mis à part Le Matin et le Journal du Mardi, qui sont les deux médias les plus proches «des parents», et une courte interview à la RTBF, c'est le silence sur toute la ligne. Et ce silence est terriblement inquiétant pour la démocratie. Il témoigne en effet de ce que pour la majorité de «l'establishment», les enlèvements et assassinats d'enfants sont moins aujourd'hui des affaires criminelles à résoudre que des événements à relativiser. A «objectiver». Pour ne pas dire : à classer. Aussi, lorsque Gino Russo et une délégation du Comité de Soutien aux parents remettent 53 000 pétitions au président de la Chambre pour s'inquiéter de l'enlisement de l'enquête sur Julie et Mélissa, cela fait encore un titre au JT et la couverture du Matin. Mais 20 lignes seulement, en pages intérieures, dans tous les grands quotidiens du pays ? à commencer par Le Soir et La Libre Belgique.