Au coeur de l'Europe, le réveil du nationalisme flamand menace l'unité belge. Il vient de frapper aux portes de sa capitale, Bruxelles qui n'est rien d'autre que la capitale de l'Union européenne. Voici quelques vérités belges. Le célèbre «compromis belge» tient du surréalisme. Les partis politiques vainqueurs des dernières élections législatives du 10 juin, se sont regroupés sous l'appellation «Orange bleue», et négocient depuis 151 jours la formation d'un gouvernement fédéral. Entre les partis aux oriflammes couleur orange que sont les démocrates chrétiens flamands (CD&V) et leurs vis-à-vis francophones, rebaptisés centre démocrate humaniste (CDH) d'une part; et les libéraux francophones du mouvement réformateur (MR) et leur bannière bleue, d'autre part, le «ton» est monté. Une colère rouge -comme celle de l'autre parti flamand, la NVA, arrivé en deuxième position aux législatives en Flandre et devenu meneur des revendications séparatistes flamandes- s'est emparée du pays. Du coup, citoyens belges, journalistes nationaux et étrangers ont le tournis devant un tel spectre de couleurs politiques qui, a défaut d'éclairer l'avenir belge, laisse la porte ouverte à toutes les surprises. Comment un tel tableau politique a-t-il été possible? Grâce aux promesses électorales des partis flamands à leurs électeurs. En effet, même s'il existe des problèmes institutionnels à tous les niveaux des pouvoirs belges, générateurs de bien de lourdeurs bureaucratiques, de déséquilibres économiques, d'accumulation de structures politico-administratives et surtout, d'un gargantuesque budget de l'Etat, l'exemple belge ne démérite pas, tant il a toujours su maintenir une croissance économique positive, une paix sociale et une relative prospérité. La Belgique est l'un des rares pays européens à n'avoir pas de grand déficit dans les finances publiques à l'inverse de la France, l'Italie ou la Grèce. En revanche, la région flamande, six millions d'habitants, est plus riche que la région francophone de Wallonie avec ses 4 millions d'habitants. Et c'est sur cet aspect que les Flamands du CD&V, conduits par leur leader Yves Leterme et ceux plus extrémistes de la NVA (droite) et bien d'autres petits partis flamands (à l'exception des verts et des libéraux) ont «excité» leurs électeurs: «Vous ne paierez plus la solidarité nationale» leur ont-ils proposé. Selon eux, il faut régionaliser le financement et la gestion d'un bon nombre de secteurs publics: la sécurité sociale, les allocations familiales, l'emploi, la société de transport de chemin de fer (Sncb)...Et pour ce faire, il faut revoir l'architecture institutionnelle. C'est dans ce cadre que les Flamands exigent la scission de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hall-Vilvoorde, mis en place par la réforme de 1963. Leur argument est simple: la périphérie de Bruxelles (Hall et Vilvoorde) est située en région flamande, donc la circonscription doit relever de la seule région flamande. Le problème c'est que 120.000 francophones y vivent et veulent garder le droit de voter sur des listes francophones. Au même titre que les 120.000 Flamands qui vivent à Bruxelles et votent pour leurs listes. Si les Flamands de Bruxelles ont leurs droits spécifiques (documents administratifs en flamand, élus à tous les niveaux...), ce n'est pas le cas pour la moitié des habitants francophones de la périphérie bruxelloise, alors que ces «facilités» sont contenues dans les accords de 1993-94. Au-delà de ce casse-tête institutionnel sur lequel buttent les négociations pour la formation du nouveau gouvernement, se cache en réalité le réveil d'un nationalisme flamand aussi étroit que dépassé, pour ne pas dire ridicule à l'heure de la mondialisation. Comme si les Flamands, longtemps pauvres et subissant une certaine ségrégation linguistique durant le premier siècle de l'existence de la Belgique (née en 1831 après la révolte de 1830), devenus riches aujourd'hui, veulent une revanche sur l'histoire. Mardi dernier, ils ont sonné le glas sur Bruxelles et sa périphérie. Leurs députés de la commission des affaires intérieures de la chambre basse du Parlement où ils sont majoritaires, ont voté la division de la circonscription électorale de Bruxelles-Hall-Vilvoorde. Même si cela ne sera pas effectif, puisque le vote doit être entériné par le Sénat et le gouvernement (qui n'est pas encore là), les Flamands ont frappé un grand coup médiatique et symbolique, qui a blessé les francophones et touché l'âme belge. Les négociations pour un gouvernement sont suspendues, le roi des Belges a désigné les présidents de la chambre (flamand) et du Sénat (wallon) pour mettre en place un comité des sages, représentant l'ensemble des partis politiques, qui réfléchiraient à une réforme institutionnelle. Le futur chef du gouvernement, le Flamand Yves Leterme, devrait se contenter des négociations classiques pour donner à la Belgique ses gestionnaires. Qui a gagné dans l'affaire? Personne. Qui a perdu? Personne. «La terre est une orange bleue», rêvait Paul Eluard, le poète surréaliste du début du XXe siècle. Pour les Belges «l'orange bleue» est devenue un cauchemar.