La télévision publique francophone (Rtbf) a excellé, dans une mise en scène à la Orson Welles. «La Belgique en état de siège». Cela aurait pu être le titre en une de la presse internationale de jeudi dernier. Et pour cause, la télévision publique francophone (Rtbf) a excellé, dans une mise en scène à la Orson Welles, pour annoncer, solennellement, la fin de l'existence de la Belgique en tant que telle. Le JT du soir, à peine terminé, le présentateur vedette de la maison interromp brusquement le programme du soir, pour déclarer avec un ton grave: «Mesdames, messieurs, l'heure est grave. La Flandre - région flamande du nord du pays - a proclamé unilatéralement son indépendance. La Belgique n'existe plus.» Suivront des directs d'envoyés spéciaux devant le Palais royal et le Parlement flamand, où les journalistes ajoutaient les ingrédients propres à ce genre de situation, tels l'odeur du risque d'une guerre civile, la fuite du souverain et sa famille vers une destination inconnue... Ailleurs, dans Bruxelles, des figurants complices, paniqués, affrontaient des policiers flamands qui leur intimaient l'ordre de quitter le territoire bruxellois (Bruxelles étant située en région flamande). Tout a été planifié et réalisé d'une main de maître pour confondre réalité et fiction. Ce n'est que 25 minutes plus tard, qu'un bandeau rouge apparaît au bas des écrans de télé, annonçant «ceci est une fiction». Jusque-là, il ne s'agissait donc que d'un coup médiatique de la Rtbf pour les besoins de l'audimat, pourrait-on penser. Hélas, et c'est le cas de le dire, la réalité belge n'est pas loin de la fiction. Les querelles politiques et identitaires entre Flamands et Wallons durent depuis la création de ce pays de cocagne. La Wallonie francophone, riche de ses charbonnages et industrie lourde, a été le train économique de la Belgique jusqu'aux années soixante. La Flandre, plus peuplée, s'est réveillée à la faveur des nouvelles technologies et de l'industrie des services pour devenir, aujourd'hui, le premier contributeur de l'Etat belge. Du coup, la «revanche» des Flamands, devenus plus riches (artificiellement, puisque prestataires de services, et eu égard à l'étroitesse de leur marché local de consommation, ils font leur chiffre d'affaires plus en Wallonie et ailleurs qu'en Flandre), ne s'est pas fait attendre. Revendications linguistique, territoriales, contrôle des centres de pouvoir, notamment au niveau fédéral (le Premier ministre est, au nom des 6 millions de Flamands contre 4 millions de Wallons, depuis, Flamands). Mais le problème est que sur ces disputes politiciennes, les extrémistes (Flamingants) revendiquent l'indépendance de la Flandre. Evidemment, les extrémistes wallons, certes moins nombreux et moins violents, souhaitent, eux, leur attachement à la France. C'est pour dire combien la guéguerre entretenue par les «séparatistes» n'est pas une simple fiction. Elle génère des conséquences dévastatrices sur les relations sociales, culturelles de la vie de tous les jours en Belgique. C'est pourquoi aussi, le pouvoir politique belge n'a pas, dans une grande majorité, apprécié «la guerre des mondes» à la belge. Les débats, qui ont suivi, ont éludé les principes de liberté de presse et de création, pour se focaliser sur les conséquences d'une telle émission sur les querelles Flamands-Wallons. Les journalistes et animateurs de l'émission, mis en cause, ont fait prévaloir leur droit à la liberté de création, tout en rappelant que la menace permanente des séparatistes flamands n'est pas une vue de l'esprit. C'est justement une réalité. «Nous voulons susciter le débat sur cette question, qui est dans l'esprit de tous les Belges, refoulée par les pouvoirs politiques pour X raisons», ont-ils expliqué, en substance. Enfin, signalons que les gestionnaires et responsables de la Rtbf, notamment les directeurs de l'information et chefs d'édition, sont nommés après l'accord des responsables politiques wallons, c'est-à-dire depuis toujours, les socialistes, alliés depuis peu aux sociaux démocrates. Un proverbe dans les milieux journalistiques belges, explique que, pour faire partie de la Rtbf, il faut être militant du parti socialiste. C'est tout dire sur le rapport du pouvoir politique aux médias publics. Sur ce plan, le coup d'éclat de la Rtbf n'est pas qu'une histoire belge. Encore moins une blague.