«Attends, consultons encore un autre arbitre !» C?est alors que jaillit d?une futaie une poule à la plume triste qui se mit à caqueter en agitant sa pauvre crête fanée : «Chaque jour que Dieu fit, j?ai garni mon nid d?innombrables ?ufs si jolis ! si jolis ! Encore chauds, mes pauvres petits par l?homme étaient pris ! Pour me gratifier de mes sacrifices, un jour, il confia à son fils : «Cette poule n?est même plus bonne à la ponte !» et sans honte, il me cria au bec : «Demain c?est l?Achoura, tu feras une bonne chakhchoukha !» «De peur, reprit la poule, je me suis enfuie sur l?heure. C?est pourquoi je vis cachée sous cette feuillaison. La couleuvre et le b?uf ont raison : l?homme ce vaurien rend le mal pour le bien !» Le serpent fit pivoter sa tête trois fois en sifflant comme pour exprimer sa joie. «Tu vois la loi des hommes est pareille à celle des serpents !» argua le reptile tout en resserrant d?un cran l?étau autour du cou du chasseur. Ce dernier, suffoquant et croyant sa dernière heure venue, supplia : «Regarde ! Là-bas il y a une gentille agnelle ! Elle a sûrement profité de la générosité des hommes et saura te convaincre.» La brebis répondit de loin : «Je vais te parler, moi, de la générosité des humains ! Mon maître, chaque été, a tondu et vendu ma laine au marché. Tous les jours que Dieu fit, il m?a pris jusqu?à la dernière goutte de mon lait laissant ainsi mes agnelets affamés. Un matin, il s?approcha de moi, me palpa le flanc, et dit à sa femme sans aucun état d?âme : «Demain, je saignerai cette brebis ! La bougresse est finie ; elle suffira à peine au repas de midi. La couleuvre, le b?uf, la poule ont raison : l?homme, ce vaurien, rend le mal pour le bien !» Le serpent fit pivoter sa tête trois fois en sifflant comme pour exprimer sa joie puis ajouta : «J?ai toujours dit que la loi des hommes est pire que celle des serpents !» La chasseur, se remettant aux mains de Dieu, implora le reptile : «Laisse-moi ! supplia-t-il. Laisse-moi au moins le temps de dire une prière !» La couleuvre, qui n?était pas peu fière, allait répondre quand Gnifid, le hérisson, jaillit d?un buisson et s?écria : «Arrête serpent ! Ce procès n?est pas équitable !» «Quoi ! rétorqua le reptile, trois témoins m?ont déjà conforté dans mon bon droit !» «Oui, je n?en doute pas ! Mais moi, je veux d?abord que tu me racontes comment tu as rencontré l?homme.» «Par une journée glaciale, commença la couleuvre, le chasseur me trouva, il est vrai, bien fatiguée. J?étais donc là, allongée par terre...» «Où par terre ?» interrompit le hérisson. «Là !» reprit le serpent qui n?avait pas de doigt pour montrer l?endroit. «Où, là ?» insista Gnifid. Enervé par tant d?obstination, et sans méfiance, le reptile se laissa tomber sur le bord du sentier puis se mit à se cogner la tête contre le sol en criant au hérisson : «J?étais ici, quand l?homme me trouva, ici !» Gnifid marmonna dans ses piquants à l?intention du chasseur : «Ni je conseille ni j?ordonne ! Mais à l?ingrat du bâton Il faut que tu donnes !» Le chasseur, plus vif que l?éclair, se saisit d?une grosse branche et assomma le reptile en criant : «Mort le serpent ! Mort le venin !» Puis, tout en ouvrant furtivement sa musette, il chercha du regard le hérisson. «Où est donc passée cette bête ? Je comptais sur elle pour faire ce soir la fête.» Mais Gnifid, qui connaissait les hommes, ne s?attendait pas à des remerciements et s?était subrepticement caché dans les buissons. Depuis cette mésaventure, le hérisson chauffa une pointe de fer et se fit une marque entre les deux yeux afin de se souvenir à jamais de l?ingratitude des hommes. En cheminant, il se remémorait ses déboires et se répétait pour ne plus l?effacer de sa mémoire : «Cautérise la tête brûlée Plutôt que de la soigner ! Ainsi pour l?éternité, Entre les deux yeux, marqué, Tu n?oublieras pas, un seul instant, Que pareil au serpent L?homme récompense par le mal Ceux qui l?avaient comblé de présents !»