Saviez-vous que jadis le hérisson avait une tache sur le front ? C?était la cicatrice d?une vieille brûlure qu?il s?était faite pour ne jamais oublier l?histoire que je vais vous conter. Il était une fois, du temps où les animaux parlaient aux hommes, un chasseur qui s?en retournait chez lui par une froide journée hivernale. Chemin faisant, il entendit geindre ; il se baissa et découvrit, au bord du sentier, une jeune couleuvre à moitié gelée. Il la ramassa, lui frictionna le corps pour la réchauffer, l?enveloppa délicatement dans son turban et la ramena à la maison. Il la lova confortablement au fond d?un caisson qu?il garnit soigneusement de fin duvet. Chaque jour, à toute heure, le chasseur gavait le reptile de viande et de douceurs à tel point qu?il grossissait et grandissait très vite ; il le fit tant et si bien qu?un jour il ne tarda pas à déborder du casier pour tomber lourdement sur le plancher. Le serpent était tellement lourd que le vieil homme eut de la peine à le ramasser. Pourtant, réunissant ses efforts, il le souleva péniblement et lui dit : «Couleuvre ! Te voilà rétablie et Dieu merci ! Le printemps est là ; maintenant, tu peux aller gagner ta vie !» Le reptile se dégagea des mains qui l?avaient nourri et, prestement, enserra le cou de son protecteur. «Est-ce là le prix de mes bienfaits ? Est-ce en m?étouffant que tu veux me remercier ? Moi, ton sauveur ?» haleta le chasseur à moitié étranglé. Le serpent fit pivoter sa tête trois fois en sifflant comme pour exprimer sa joie puis répliqua : «Sache qu?il est fatal O homénien Que le serpent récompense Par le mal Tout ce qu?on lui dispense Comme bien !» «Mais souviens-toi, reptile, rétorqua le chasseur, que je suis ton bienfaiteur et j?ai donc droit à une faveur !» Le serpent desserra d?un cran son étreinte et répondit : «Parle ! Que veux-tu ?» «Je veux qu?on aille ensemble dans la forêt... demander à n?importe quel animal s?il est coutume... de gratifier le bien par le mal !» répondit, avec peine, le chasseur. La couleuvre accorda cette dernière volonté au pauvre homme qui sortit de sa maisonnette avec la bête autour du coup. Il était à peine arrivé à la lisière de la forêt qu?il aperçut un b?uf qui n?avait que la peau sur les os. L?homme s?approcha de l?animal, le salua et lui dit : «B?uf, je voudrais solliciter ton arbitrage : en hiver, j?ai recueilli une couleuvre à moitié gelée ; je l?ai nourrie, soignée et en gratification de mes bons soins elle veut maintenant, comme tu le vois, m?étrangler !» dit le vieil homme en pointant du doigt le serpent qu?il avait toujours en collier autour du cou. Le b?uf opina de la tête et tristement répondit : «Quand j?étais jeune et robuste ? ne dit-on pas d?ailleurs fort comme un b?uf ? ? l?homme m?a fait besogner dans les champs sans répit ; pour me récompenser il vendait au marché mes petits. Quand, usé par le labeur et sous le poids des ans, j?ai commencé à dépérir, le maître, en guise de remerciement, un matin à son fils recommanda : ?Ce b?uf ne vaut plus rien. Demain soir, il faudra le mener à l?abattoir.? Je me suis alors enfui et, depuis, au crépuscule de ma vie, je survis caché derrière ce bosquet. Chasseur ! tu ne seras donc pas étonné si je dis au serpent qu?il a mille fois raison ; l?homme, ce vaurien, rend le mal pour le bien !» Le serpent fit pivoter sa tête trois fois en sifflant comme pour exprimer sa joie, puis répliqua : «Tu vois, chasseur, la loi des hommes n?est guère meilleure que celle des serpents. J?avais raison de vouloir t?étrangler.» «Attends !» hurla le pauvre homme à la couleuvre qui déjà resserrait son étreinte. (à suivre...)