M. et Mme Lelièvre habitent Collonge, un charmant village de Bourgogne. Leur maison n'est pas grande, mais elle est à l'écart de la rue principale, très au calme. Les alentours sont magnifiques et ils peuvent ainsi profiter de la nature car M. et Mme Lelièvre, qui sont tous les deux à la retraite, sont passionnés par tout ce qui touche aux bêtes, et en particulier aux oiseaux. Et ce sont des oiseaux, des hirondelles plus précisément, qui vont être les héroïnes de ce récit... Tout commence en avril 1979. Les Lelièvre ont pris l'habitude, comme bien d'autres, de déposer de petits morceaux de pain sur le rebord de leurs fenêtres pour nourrir les oiseaux du voisinage. D'habitude, ce sont des moineaux ou des rouges-gorges qui viennent ; quelquefois, des espèces moins ordinaires. Or, un matin, vers six heures, ils sont réveillés par un bruit insolite qui vient de l'extérieur. C'est même un véritable vacarme : une sorte de piétinement accompagné de cris d'enfant. Intrigués, un peu inquiets, les Lelièvre se lèvent pour aller voir et ils restent un long moment bouche-bée. Sous leurs yeux, il y a des centaines, des milliers d'hirondelles. Non seulement elles se bousculent à leurs fenêtres en se cognant aux vitres, mais tout le jardin et les toits des maisons avoisinantes en sont recouverts. Il n'y a pas de doute : c'est une colonie en migration. Un de ses membres a dû repérer les morceaux de pain ; il est descendu et les autres ont suivi. Une ou deux minutes plus tard, d'un seul coup, comme obéissant à un ordre, les hirondelles s'envolent toutes ensemble et reprennent leur route. Les Lelièvre reparlent longtemps de cette aventure. Et l'année suivante, à l'approche des beaux jours, ils se mettent à penser avec un vague espoir : «Peut-être les hirondelles se souviendront-elles, peut-être vont-elles revenir...» Alors, de nouveau ils déposent du pain, beaucoup de pain, pas seulement sur leurs fenêtres, mais tout autour. Puis, ils attendent... Et un matin d'avril, vers six heures, le même bruit assourdissant que l'année précédente les tire de leur sommeil. Les hirondelles sont là, aussi nombreuses. Elles n'ont pas oublié. Cette fois, elles restent un peu plus longtemps car elles ont avantage à manger ; puis, elles repartent avec la même brusquerie que la première fois, toutes ensemble. Depuis, à chaque printemps, les Lelièvre déposent tout le pain qu'ils peuvent sur les rebords de leurs fenêtres, dans leur jardin et autour de leur maison. Ils font des provisions des semaines avant. Ils vont en demander à leurs voisins. Et chaque année, les hirondelles reviennent. C'est devenu une étape sur le long chemin de leur migration. Elles savent que là elles pourront se nourrir et se reposer quelques instants. Dans le village, la maison des Lelièvre est devenue la «maison des hirondelles». La plupart des gens trouvent l'histoire charmante. Elle fait désormais partie du folklore local. Le journal de la région se déplace chaque fois pour cette invasion pacifique et les Lelièvre ont droit à leur petite interview annuelle. Le phénomène attire même des spécialistes. Un ornithologue vient exprès de Paris et fait part de ses conclusions au quotidien régional : — Comment se fait-il qu'elles reviennent chaque année ? — L'emplacement de la maison a dû se fixer dans leur mémoire et s'est transmis entre elles. — Ce genre de souvenir peut donc se communiquer d'une génération à l'autre ? — Forcément, mais c'est un mécanisme qui reste mystérieux. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre concernant l'instinct des oiseaux... (à suivre...)