Résumé de la 145e partie n Mlle Blanche n'avait pas de scrupules Elle n'a pas jugé nécessaire d'informer la police de ce qu'elle savait et de ce qu'elle avait vu… Mrs Upjohn s'était assise sur le parapet d'une route, au-dessus d'un ravin profond. Elle s'entretenait, en partie en français, en partie par gestes, avec une grosse Turque d'aspect robuste qui lui racontait, avec tous les détails que permettait une communication aussi difficile, sa dernière fausse couche. Elle avait eu neuf enfants, expliquait-elle. Dont huit garçons. Et elle avait fait cinq fausses couches. Elle paraissait aussi fière de ses avortements spontanés que des grossesses qu'elle avait menées à terme. — Et vous ? demanda-t-elle à Mrs Upjohn en lui enfonçant un doigt amical dans les côtes. Combien ?... Garçons ?... Filles ?... Combien ? s'enquit-elle dans la langue de Voltaire. Elle dressait les mains, prête à compter sur ses doigts. — Une fille, répondit Mrs Upjohn, en français également. — Et garçons ? Sentant qu'elle courait le risque de perdre l'estime de son interlocutrice, Mrs Upjohn, dans un sursaut de patriotisme, choisit de mentir. Elle leva les cinq doigts de sa main droite. — Cinq, dit-elle. — Cinq garçons ? Très bien. La Turque hochait la tête en signe d'approbation et de respect. Elle ajouta que si seulement son cousin qui, lui, parlait le français couramment, avait pu être présent, elles se seraient beaucoup mieux comprises. Après quoi, elle reprit la saga de sa dernière fausse-couche. Les autres voyageurs s'étaient dispersés autour d'elles et picoraient dans les provisions qu'ils avaient tirées de leurs paniers. L'autocar, qui n'allait pas sans évoquer un amas de tôles retenues par des bouts de ficelle, était garé à l'ombre d'un rocher en surplomb. Le chauffeur et un acolyte de hasard s'activaient sous le capot. Mrs Upjohn avait perdu toute notion du temps. Des inondations avaient bloqué deux itinéraires, il avait été nécessaire d'emprunter des détours et ils avaient dû attendre une fois de longues heures que le niveau d'une rivière qu'ils devaient traverser à gué consente à baisser. Ankara l'attendait au bout d'un avenir qui ne semblait pas absolument improbable, et c'était tout ce qu'elle savait. Elle écoutait attentivement le flot des paroles peu cohérentes de sa compagne en tâchant de juger des moments où il lui faudrait manifester son admiration et de ceux auxquels on attendrait d'elle un hochement de tête de sympathie. Une voix interrompit le cours de ses pensées, une voix parfaitement incongrue dans les circonstances présentes: — Mrs Upjohn, je présume ? Elle leva les yeux. Un peu plus loin, une voiture s'était arrêtée. L'homme qui se tenait devant elle en était à coup sûr descendu. Il possédait des traits aussi incontestablement britanniques que son accent. Et il était impeccablement vêtu d'un costume de flanelle grise. — Bonté divine ! s'exclama-t-elle. Le Dr Livingstone ? — On pourrait le croire, oui, répondit gaiement le nouveau venu. Je m'appelle Atkinson. (à suivre...)