Une fois tous nos compagnons partis, nous sommes rentrés dans un gourbi avant de nous installer autour d'un feu pour siroter notre café et entamer cette conversation qui m'angoissait tant. Si Moussa, homme de terrain, ignorant les détours et les préambules, me dit : «Si Cherif, tu dois quitter la Katiba El-Hamdania.» Je n'en croyais pas mes oreilles. J'aurais préféré mourir mille fois plutôt que d'entendre de pareilles paroles. Ce que j'entendais là dépassait de loin les pires de mes craintes et de mes appréhensions. Je ne pouvais parler. Je ne savais pas quoi dire. Je tremblais et je pleurais sans pouvoir donner contenance à cette réaction à laquelle je ne m'attendais pas moi-même. La Katiba El-Hamdania était ma famille, ma raison de vivre, de combattre et de mourir. M'en priver, c'est m'ôter toute raison ou envie de continuer de vivre et de combattre. Si Moussa, interloqué par cette réaction, à laquelle il ne devait pas s'attendre non plus, me dit : «pourquoi tu pleures ? Je t'ai dit de laisser tomber cette habitude, tu es d'une grande sensibilité. Et bien souvent tu verses des larmes pour un rien.» Je lui répondit alors : «mais pourquoi dois-je quitter la compagnie El-Hamdania ? Est-ce que j'ai fais quelque chose de mal ou de grave ? Est-ce que mes compagnons se plaignent de moi ? Ne suis-je pas un bon Combattant ? Ne suis-je pas courageux et volontaire comme mes frères de lutte ?» Sa réponse me rassura alors : «Si Cherif, tout ce que tu viens de dire n'est pas juste. Je n'ai aucun reproche à te faire. Nous t'aimons tous. Tu es le chouchou de notre Katiba. Tu es toujours volontaire. Tu es un exemple de bonne conduite. D'ailleurs, tes compagnons aiment bien plaisanter avec toi parce que tu es un citadin.» Cela était bien vrai. Mes compagnons me taquinaient, surtout à mes débuts, quand j'avais été enrôlé dans le Commando «Si Zoubir» – de son vrai nom Soulimane Tayeb de Soumaâ, à Blida. Les compagnons me taquinaient en me disant : «adieu la bonne cuisine de ta maman.» D'autres me disaient : «adieu tes beaux cheveux frisés.» Un autre s'exclamait : «Adieu le lit de laine.» Ne connaissant pas leurs mentalités, je m'isolais pour pleurer, pensant que toutes ces boutades m'étaient lancées méchamment avec la ferme volonté de me nuire, et que ce groupe soudé et courageux me rejetterait parce que je donnais l'air d'être différent. Mais, un peu plus tard, j'ai compris que les gens de la compagnie aimaient beaucoup plaisanter entre eux ; qu'étant nouveau j'étais le sujet privilégié de leur plaisanteries, mais qu'ils m'aimaient beaucoup et ne cessaient d'apprécier ma bravoure, mon engagement, mon sens de l'abnégation et, même, mon extrême sensibilité. Si Moussa poursuivit : «Si Cherif, j'ai reçu une lettre de notre commandement te concernant. Je n'ai pas voulu te le dire hier. Te sachant très émotif, j'ai préféré attendre le matin pour t'en parler. Tu as été désigné comme responsable de renseignements et liaisons (RL) du secteur de Cherchell.» II s'agissait d'une importante promotion, dont se serait enorgueilli chacun de mes compagnons d'armes. Mais je ne comprenais pas les choses de cette façon. (à suivre...)