L'attaque s'était déclenchée dans tout le douar, et l'on pouvait entendre les tirs de nos fusils-mitrailleurs. Avançant au milieu de cette ferme, j'ai aperçu une lumière. J'ai pénétré dans une pièce, où je vis accroupis autour d'une cheminée une vingtaine de femmes et d'enfants terrorisés par les tirs des fusils dont le bruit des détonations leur parvenait de l'extérieur. Leur épouvante augmenta encore en me voyant surgir l'arme à la main. Ces femmes s'étaient recroquevillées sur elles-mêmes en se serrant les unes sur les autres, alors que les enfants pleuraient dans les bras de leurs mères. Il me fut pénible de lire la terreur sur les visages défaits et affolés de ces femmes, et j'ai alors abaissé le canon de ma MAT 49, au moment même où Si Hatem, arrivant derrière moi en trombe, se précipitait menaçant, faisant avec sa mitraillette un ample geste en arc de cercle en direction de la porte, que cette cohorte de femmes frémissant de peur devait sans doute interpréter comme un ordre de quitter la pièce pour faciliter la fouille des lieux. Me retournant vers Si Hatem, je fixai sur lui un regard qui signifiait : «Cesse donc d'affoler ces pauvres femmes ! Crois-tu donc que les bellounistes se trouvent cachés sous leurs robes ?» Puis je lui ai lancé : «Assez, Si Hatem !» Subitement, une femme se mit à crier : «Ya yamma, ya yamma, hadou houma el moudjahidine el ahrar» (Ô ma mère, ô ma mère, ce sont donc ceux-là les véritables combattants !?) M'adressant à elles, je leur dis : «N'ayez pas peur de nous, nous sommes des moudjahidine, des combattants de la liberté», déclenchant par là leurs cris de joie et leurs youyous, qui immédiatement fusèrent de leurs poitrines. Avant de nous retirer, Si Hatem et moi leur avons brièvement expliqué et fait comprendre que le «général» Bellounis et son armée n'étaient pas des moudjahidine, mais des traîtres de la patrie au service de l'ennemi français. Après cela, nous nous sommes tous retrouvés, comme convenu, au point de rassemblement situé à la sortie du douar. Les autres groupes avaient fait un bon nombre de prisonniers parmi les bellounistes. Comme il était déjà minuit passée, nous nous sommes immédiatement mis en route, car il nous fallait marcher à pas accéléré pour arriver à destination avant le lever du jour. Pour ma part, j'étais très déçu du résultat, car ce n'était pas là ce qui pouvait s'appeler une vraie réussite, malgré l'important nombre de prisonniers que nous avions pu faire parmi les bellounistes et les morts et blessés que nous avons causés dans leurs rangs, sans enregistrer aucune perte de notre côté... Ce qui me faisait mal, c'était d'avoir laissé s'échapper le commandant Slimane Bouhmara et ses principaux adjoints, et ce, par la faute de Si Larbi, le chef de la katiba, qui, préalablement à l'exécution de l'attaque, aurait dû réunir tous les effectifs de la compagnie (les chefs de section, les chefs de groupe, le chef de section des moussebiline), puis demander au guide de nous faire un rapport complet sur la situation exacte qui régnait dans le douar, avec des détails nets et précis sur les maisons où se trouvaient hébergés les soldats bellounistes. (à suivre...)