Sur ce, je repris ma place à la tête de ma section, puis je me précipitai de nouveau à l'avant, et ayant attrapé le guide par le bras, je lui dis : «Où nous emmènes-tu donc comme ça ?! Est-ce que le douar Siouf est encore loin d'ici ? – Oui, me répliqua-t-il, il nous reste encore environ deux heures de marche à faire. – Dès que nous nous trouverons à cinq cents mètres du douar, tu nous en informeras, lui intimai-je d'un ton ferme et qui ne souffrait pas de réplique. – D'accord !», acquiesça-t-il. Je dois avouer ici que j'avais le pressentiment que quelque chose de très grave allait nous arriver, car, pour tout dire, tout en m'étant mis à réfléchir là-dessus, beaucoup plus loin, j'ai entendu des chiens aboyer. Je n'ai pu alors me retenir de courir, pour aller rattraper le guide et lui demander sur un ton rude et dénué d'aménité où était exactement situé le douar. «Là-bas, derrière la colline», me dit-il, alors qu'en vérité, il se trouvait à une centaine de mètres. Tous les autres chefs de section, dont Si Hatem, entourèrent le guide lui enjoignant de nous indiquer le refuge dans lequel se trouvaient logés les bellounistes. «C'est moi et les membres de ma section qui irons attaquer le commandant Slimane Bouhmara !» ai-je dit à Si Larbi, lequel m'a répondu : «D'accord, Si Cherif.» J'ordonnais alors au guide de marcher devant moi et de m'indiquer le lieu où le commandant Slimane Bouhmara avait installé son PC. Chaque groupe partit ainsi vers l'objectif qui lui fut désigné. Avançant derrière le guide, qui me précédait à quelque 10 mètres, je vis ce dernier qui me montra enfin la maison qui servait de refuge et de poste de commandement au chef bellouniste. Arrivés à 20 ou 30 mètres, nous nous sommes arrêtés. La maison était bâtie au bord d'un chemin fortement pentu. En entreprenant de l'escalader, nous éprouvions mille difficultés à cause de l'herbe humide chargée de rosée matinale. Après avoir placé chaque élément du groupe là où il le fallait, j'ordonnais au servant du fusil-mitrailleur de ne changer de place que sur mon seul ordre. Face à moi, la porte d'entrée du haouch balançait, et on pouvait voir la lumière filtrer de l'intérieur. Je me mis à crier : «Ya Mohamed, ya Mohamed», sans obtenir la moindre réponse. Ayant ordonné à mes compagnons de ne bouger sous aucun prétexte, j'avançai seul vers la maison, et, pour éviter d'être mis en joue et abattu par quelque tireur invisible embusqué dans un coin obscur, je fonçai en zigzaguant en direction de la porte, mitraillette à la main. Le solide coup de pied que je donnai dans la porte la fit céder et s'ouvrir complètement sous le choc. Je m'abritai quelques instants derrière le mur, de crainte qu'on ne me tire dessus. Je bondis ensuite à l'intérieur de la maison, mais pas âme qui vive. J'ai pourtant remarqué de la nourriture encore chaude disposée sur une table basse traditionnelle (meïda), ainsi que six ou sept fusils que les bellounistes avaient abandonnés sur place en prenant la fuite par une porte dérobée, située derrière la pièce où j'avais fait irruption et qui ouvrait sur une grande cour où il y avait du bétail. (à suivre...)