Scène n Le jeu théâtral et chorégraphique, appuyé aussi bien par la musique que par la lumière, prend la tournure d'un spectacle foncièrement artistique. La troupe du théâtre régional de Sidi Bel Abbes, lauréate du Grand prix lors de la précédente édition du Festival national du théâtre professionnel, a foulé, hier dans la soirée, les planches du Théâtre national, avec la pièce Fragments. La pièce, adaptée de Nedjma par Youcef Mila, est mise en scène par Hacen Assous. En fait, ce n'est pas une adaptation intégrale, une mise en espace littérale ou encore une reproduction, mot à mot du texte originel, c'est un travail de composition de textes, et de là, il a «recréé» le texte, en l'inscrivant dans un jeu de composition et d'interprétation inédit. Fragments, interprétée en arabe classique, revient sur des moments clés du roman de Kateb à travers des extraits. Ainsi, sur les planches du TNA a résonné le destin de la tribu des Keblouti, et, par-delà, celui du peuple algérien qui a subi les affres du colonialisme français. Mais, ce que l'on retient d'emblée de la pièce, c'est bien le jeu scénique, l'interprétation théâtrale des comédiens et comédiennes, c'est-à-dire la forme : la composition spatiale est stylisée, très peu de décor, voire quelques accessoires – des rideaux en plastique disposés çà et là, d'un côté comme de l'autre, de la scène, conférant au jeu une transparence perceptible. Nous sommes accrochés, d'un bout à l'autre de la pièce, à la prestation théâtrale des comédiens et comédiennes qui ont su donner à leur personnage une visibilité saisissante ainsi qu'un caractère subtilement mis en relief. Leur personnage prend du volume, et chacun revêt une psychologie, c'est-à-dire une forte charge émotionnelle. Il évolue au fil de la représentation. Leur jeu est plutôt une performance : ici, ils jouent, là, ils esquissent des agencements chorégraphiques, le tout dans une expression théâtrale démonstrative. Le jeu théâtral et chorégraphique, appuyé aussi bien par la musique que par la lumière, prend la tournure d'un spectacle foncièrement artistique, subtilement composé, recherché avec autant d'imagination que de sensibilité. L'on relève aussitôt sa poétique qui s'exprime avec tant de profondeur que de pertinence (l'espace scénique est adroitement pensé et élaboré avec harmonie), et ce, à travers une expression, à l'évidence, juste et avérée. La gestuelle, appropriée, correspondant à chaque séquence sensiblement décrite aussi bien par la chorégraphie que par le dialogue. Le tout confère à la pièce son accent, sa tonalité, son rythme et même sa musicalité ainsi que sa couleur. Ainsi, le travail mené par cette troupe, que ce soit sur le plan de la composition ou celui de l'interprétation, prend sa légitimité artistique, tant la performance se révèle un langage en soi, un effet de représentation à part entière. Ce travail est renforcé par la scénographie, signée Abdelhalim Zaaboubi, qui a su refléter l'atmosphère katébienne et donner une âme à la pièce. Ainsi, la scénographie fait ressortir les meilleurs moments de l'écriture katebienne, elle fait revivre sa mémoire, la rendant encore plus vivante.