Des blindés et des soldats en armes étaient positionnés ce matin dans Tunis, et ce, pour la première fois depuis le déclenchement des affrontements entre les forces de l'ordre et la population. Dans la nuit d'hier, c'est la banlieue ouest de la capitale qui s'est embrasée. Des renforts militaires, soldats en armes, camions, jeeps et blindés, ont fait leur apparition dans Tunis pour la première fois depuis le déclenchement des affrontements que connaît la Tunisie depuis quatre semaines. Ces renforts étaient postés à des carrefours du centre de Tunis et à l'entrée de la cité Ettadhamen (Solidarité) où des dégâts d'une nuit de violences étaient visibles. Un blindé tout feu allumé et des soldats en armes étaient positionnés à l'entrée de ce gros faubourg où des carcasses de voitures et d'un bus incendiés n'avaient pas encore été enlevées, près du siège de la Délégation (sous-préfecture) attaqué la veille. Des bris de verre et des pneus brûlés jonchaient la route de Bizerte qui traverse les cités Ettadhamen, Intilaka et El-Mnihla, des quartiers populaires qui se succèdent, dans l'ouest de la capitale. Dans Tunis, outre des renforts importants de police et unités d'intervention spéciales, deux véhicules de l'armée et des soldats en armes montaient la garde sur la place reliant les avenues de France et Habib-Bourguiba. Des renforts militaires étaient également visibles autour de la maison de la radio-télévision dans le quartier La Fayette, et d'autres sur la place du Passage, terminus du tramway. Des affrontements ont opposé dans la cité Ettadhamoun, à 15 km du centre de Tunis, des manifestants et des forces de l'ordre, ont indiqué des habitants. «Nous n'avons pas peur», ont crié des groupes de jeunes manifestants qui ont brûlé un autobus et saccagé des commerces et une banque. Une femme a indiqué en outre que les manifestants à visage découvert ont barré la route qui conduit à Bizerte au nord du pays à hauteur de la cité populaire. Ces heurts, qui ont débuté après 18h locales et se sont poursuivis pendant deux heures, seraient les plus graves dans la banlieue de Tunis, où des manifestations ont été étouffés, hier, mardi. La police a également réprimé des débuts de manifestations d'artistes et d'opposants dans le centre de Tunis. «Le rassemblement des artistes devait se tenir à midi pour dénoncer la violence et l'usage excessif des armes dans le centre du pays», a indiqué Fadhel Jaibi, homme de théâtre. «Nous voulions exprimer pacifiquement notre colère et notre indignation», a-t-il dit, alors que la police le bousculait sur l'avenue centrale Habib-Bourguiba. La police a aussi empêché une manifestation de journalistes contre la répression des troubles sociaux et les «entraves» à l'exercice de leur travail, a indiqué l'un d'entre eux. «Nous sommes une centaine dans les locaux du Syndicat national des journalistes (Snjt) encerclés par la police, qui bloque les accès», a déclaré l'ancien président de ce syndicat. «Nous voulions manifester pour dire : ‘'Cessez de tuer les gens'', pour dénoncer les obstacles faits au travail des journalistes empêchés de rendre compte librement des troubles que connaît le pays», a-t-il affirmé. Les partis d'opposition ont, de leur côté, exprimé leur déception après le discours du Président tunisien, jugé «en deçà des attentes», un parti radical appelant même à la démission du gouvernement. A propos du bilan des victimes, les chiffres des uns et des autres divergent. «Nos chiffres disent 21 décès», a déclaré, hier, mardi, le ministre tunisien de la Communication Samir Laabidi. «Ceux qui ont parlé de 40 ou 50 morts doivent produire une liste nominative», a-t-il lancé, faisant état de dégâts matériels «considérables» sans fournir d'évaluation chiffrée. La présidente de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (Fidh), Souhayr Belhassen, avait assuré qu'au moins 35 personnes avaient trouvé la mort dans les émeutes. «Le chiffre de 35 morts s'appuie sur une liste nominative», avait-elle déclaré. Un peu plus tôt dans la journée, Sadok Mahmoudi, membre de la branche régionale de l'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt), avait évoqué une situation de «chaos» à Kasserine, principale ville du Centre, et un bilan de plus de 50 morts les trois derniers jours. «Le nombre de tués a dépassé les cinquante, a dit le syndicaliste, citant un bilan recueilli auprès du personnel médical de l'hôpital régional de Kasserine où ont été transportés et comptabilisés les corps depuis différents lieux de la région. «C'est le chaos à Kasserine après une nuit de violences, de tirs de snipers, pillages et vols de commerces et de domiciles par des effectifs de police en civil qui se sont ensuite retirés», a affirmé ce syndicaliste. Cette version des faits a été corroborée par d'autres témoins. Un fonctionnaire local ayant requis l'anonymat a fait état de tirs de snipers postés sur les toits et de tirs des forces de police sur des cortèges funèbres dans cette ville à 290 km au sud de la capitale, Tunis. Le personnel médical de l'hôpital de Kasserine a débrayé durant une heure en signe de protestation, a ajouté ce fonctionnaire, décrivant des «cadavres éventrés, à la cervelle éclatée».